C'est durant la période allant de 1954 à 1989 qu'Alfredo Stroessner dirigea le Paraguay(1). Comme le règne de ce dictateur prit fin il y de cela 25 ans, il semble pertinent de dresser un portrait du pays afin de constater son évolution.
La mise en échec des dissidents
En 1954, Alfredo Stroessner, qui est alors général, effectue un coup d'État au Paraguay(2). Ce dernier s'assure alors qu'il y ait apparence démocratique au sein du pays. Cet élément, combiné aux diatribes contre le communisme, n'était aucunement désintéressé. L'aide apportée par la suite par les États-Unis ne serait d'ailleurs pas sans lien avec la rhétorique utilisée par le président paraguayen. Alfredo Stroessner aurait donc réussi à instrumentaliser l'antagonisme présent durant la Guerre froide à des fins personnelles. Selon l'analyste Benjamin Offroy : «Prônant une «démocratie sans communisme», Alfredo Stroessner bâtit rapidement un «anti-communisme sans démocratie», dans l'unique but de durer au pouvoir et de s'enrichir(3).»
L'apparence démocratique mentionnée plus haut peut aussi s'expliquer par l'absence du multipartisme. Ce qui faisait en sorte qu'il ne pouvait y avoir une alternance au pouvoir au Paraguay entre partis divergeant au niveau idéologique lors de la gouvernance de Stroessner. Il faut également considérer que le communisme représentait une menace constante, réelle ou imaginaire; le président Stroessner s'est donc assuré de maintenir le pays en état d'urgence. Aux yeux de Slajov Zizek : «Paradoxalement, l'état d'urgence était l'état normal, tandis que l'exercice de la liberté démocratique était devenu la rare exception(4).»
La lutte au communisme permit au régime de Stroessner de lutter contre toute dissidence en adhérant à l'opération Condor. Celle-ci vit le jour au cours des années 1970 grâce à une entente entre l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, le Paraguay et l'Uruguay. Cette entente avait pour but de mettre en place: « [...] un système de coordination des informations et des différents services de sécurité, un programme de répression en trois phases et des opérations conjointes sur le terrain(5).»
L'exil d'un dictateur
C'est en 1989 que le président Stroessner doit quitter son poste à la suite d'un coup d'État(6). Stroessner n'était alors pas au bout de ses peines. En effet, au mois d'avril de la même année, une plainte était déposée contre le président déchu. À la suite de l'acceptation de la plainte, le verdict tombait quelques mois plus tard: « celui-ci était reconnu coupable de complicité de meurtre. Le verdict allait s'accompagner d'une demande d'extradition, l'ex-dictateur ayant trouvé asile au Brésil(7).»
Malgré une entente entre le Brésil et le Paraguay, le gouvernement paraguayen finit par considérer l'ancien président Stroessner comme un fugitif(8). En effet, plusieurs documents qui ont fait surface en 1992 démontrent l'implication du gouvernement au sujet d'exactions liées à l'opération Condor(9). L'ex-président ne fut toutefois jamais rapatrié au Paraguay. En effet, c'est à l'âge de 93 ans qu'Alfredo Stroessner est décédé d'une crise cardiaque au Brésil(10).
35 ans de dictature plus tard
Le départ de Stroessner, en 1989, n'a aucunement signifié le départ du parti politique de celui-ci à la tête du pouvoir. En effet, malgré la tenue d'élections, il fallut attendre l'année 2008 avant de voir une autre formation politique prendre le relais. Le Colorado Party, l'ancien parti de Stroessner, a réussi à conserver le pouvoir pendant 61 années consécutives. La passation du pouvoir à Fernando Lugo en 2008, un politicien considéré à gauche sur l'échiquier politique, peut donc être perçue comme une rupture importante avec l'ancien régime(11).
Le président Lugo, et son Alliance patriotique pour le changement, ne réussirent toutefois pas à conserver le pouvoir. Peu de temps après qu'il soit entré en poste, un scandale le concernant fut dévoilé au public. Quatre femmes affirmaient qu'il était le père de leur enfant. Lugo reconnut être le père de deux d'entre eux. Cet événement conduit à une perte de confiance de la population et de la chambre. Il est important de mentionner que le président Lugo était un évêque catholique et qu'il avait fait voeu de chasteté. Il fut également accusé de mauvaise gestion en lien avec la situation des paysans sans terre: « Congress summarly removed him from office, after he was accused of mishandling a clash between police and landless peasants(12).»
À la suite de ces événements, le président Lugo subit l'impeachment. Pour les partenaires économiques sud-américains du Paraguay, cette manoeuvre d'impeachment peut être assimilée à un coup d'État. C'est pourquoi ces pays ont décidé d'exclure le Paraguay du MERCOSUR(13). Depuis, le pays n'a toujours pas été réintégré au sein de cette organisation.
1) JEAN SCHEMO, Diana. « Obituary: Alfredo Stroessner, Paraguayan ex-dictator - Americas - International Herald Tribune », The New York Times, [En ligne], http://www.nytimes.com/2006/08/17/world/americas/1... ?pagewanted=all&_r=0, (page consultée le 2 février 2014)
2) OFFROY, Benjamin. « Le Paraguay, un nid du « Condor » » La dictature du général Stroessner, la répression et le système Condor, » Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2010/1, no 105, p. 33.
3) Ibid.
4) ZIZEK, Slavoj. « Passion du réel, passion du semblant », Savoirs et clinique, 2003/2, no 3, p. 53.
5) OFFROY, Benjamin. op. cit.
6) SERVIN, Pedro. « In Paraguay, secret archive may shed light on dictatorship-era repression in South America », The Gaea Times, [En ligne], 14 octobre 2009, http://news.gaeatimes.com/in-paraguay-secret-archi... (page consultée le 2 février 2014)
7) OFFROY, Benjamen. op. cit. p. 34
8) JEAN SCHEMO, Diana. « Gen. Alfredo Stroessner, Ruled Paraguay Through Fear for 35 Years, Dies in Exile at 93 », The New York Times, 17 août 2006, p. B 7.
9) OFFROY, Benjamin. op. cit. p. 35
10) JEAN SCHEMO, Diana. op. cit.
11) SERVIN, Pedro. op. cit.
12) MUSSEAU, François. « Permanent coup d'etat in Paraguay », Le Monde diplomatique, [En ligne], 1 mars 2010, http://mondediplo.com/2010/03/10paraguay, (page consultée le 2 février 2014)
13) THE ECONOMIST. « The never-ending war - How terrible but little-known continues to shape and blight a nation », The Economist, [En ligne], 22 décembre 2012, http://www.economist.com/news/christmas/21568594-h... (page consultée le 2 février 2014)
14) Ibid.
Dernière modification: 2014-02-13 10:17:21
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