Le 12 janvier 2010,
Haïti a été secoué de plein fouet par une catastrophe naturelle: un tremblement de terre de magnitude sept faisant 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de sans-abris (1). Des bâtiments emblématiques ont été anéantis, tels que le palais
présidentiel, le palais de justice, la cathédrale de l'archidiocèse catholique de Port-au-Prince ainsi que la majorité des édifices
gouvernementaux (2). Des élections étaient prévues les 28 février et le 3 mars 2010, mais elles furent reportées à cause du séisme. C'est un an et demi après cette tragédie que le nouveau
président Michel Martelly fut élu
président. À ce moment, certains interprétaient cette victoire comme un nouvel espoir.
Des élections tumultueuses
Le 14 mai 2011, Michel Martelly remporta l'élection à la présidence avec 67,7% des voix dans des circonstances assez particulières (3). Tout d'abord, lors du premier tour, Mirlande Minigat arriva en tête avec 31% des voix, suivie de Jude Célestin avec 22%. Pour sa part, Michel Martelly avait obtenu 21% des voix (4). Cette annonce souleva l'indignation et entraîna des manifestations violentes. La population contestait les résultats. Le quartier général d'Inité, le parti de Jude Célestin, fut détruit par les manifestants et tous les aéroports d'
Haïti furent fermés à la suite des manifestations (5). L'Organisation des États américains, dont le but est de défendre la
démocratie et les Droits de l'homme dans les différents pays de l'Amérique, a alors produit un rapport dans lequel elle recommandait le retrait de Jude Célestin. Les
autorités haïtiennes annoncèrent donc la tenue du deuxième tour avec Martelly et Minigat le 20 mars 2011 (6).
La campagne du deuxième tour fut marquée par les retours inattendus de l'ancien dictateur Jean-Claude
Duvalier, en janvier 2011, et de l'ancien
président Jean-Bertrand Aristide, en mars 2011 (7). Ces apparitions inopinées en terre haïtienne inquiétèrent la communauté internationale. Contrairement à Michel Martelly qui avait dit être « prêt » à travailler avec quelqu'un ayant servi la
dictature des
Duvalier et « intéressé » à ce que les anciens
présidents puissent servir comme conseillers spéciaux (8). Par contre,
Duvalier fut finalement inculpé moins de 48 heures après son retour pour corruption, détournements de fonds et crimes contre l'humanité (9).
En
Haïti, la
démocratie est mal en point. Michel Martelly est seulement le troisième
président haïtien élu
démocratiquement depuis le régime de
Duvalier père. Le pays ayant été sous la
dictature de François
Duvalier (papa doc) de 1957 à 1971, puis sous celle de son fils Jean-Claude
Duvalier (bébé doc), de 1971 à 1986 (10). Lors de la chute de ce régime dictatorial, c'est Jean-Bertrand Aristide qui fut le premier
président élu
démocratiquement en 1990. Par contre, un coup d'État militaire retira le pouvoir à Aristide en 1991 et ce n'est qu'en 1994 qu'il finit par gouverner réellement (11). Il fut réélu, en 2000, mais avec un taux d'abstention de 90%; il dut alors quitter le pays accompagné par l'Organisation des Nations unies. Par la suite, René Préval devint le deuxième
président élu
démocratiquement.
Sweet Micky : le changement pour Haïti ?
En 2011, l'élection de Michel Martelly représentait le changement et redonna espoir au peuple haïtien. En plus d'être appuyé par le célèbre chanteur Wyclef Jean, Martelly profita des circonstances du premier tour qui jouèrent en sa faveur dans l'opinion publique : les
Haïtiens le percevant comme victime de fraude électorale. D'autre part, il se distinguait de l'élite politique, Martelly étant un chanteur de Konpa, un style musical haïtien, connu sous le nom de « Sweet Micky » (12). Certains questionnèrent sa crédibilité. Pendant sa carrière artistique il tenait souvent des propos sexistes, voire misogynes, et exhibait ses fesses, mais en général la population fut favorable à son égard.
Cependant, peut-on parler de réel changement pour
Haïti ? En 1996, le Miami Herald rapportait que Martelly était lié à des partisans du coup d'État militaire de 1991 qui a renversé l'ancien
président Jean-Bertrand Aristide (13). Sans parler du fait que dans le passé Sweet Micky a souvent critiqué le mouvement
démocratique Lavalas d'Aristide dans ses chansons (14). De plus, en 2002, le journal Washington Post décrivit le futur
président comme «le criminel préféré travaillant pour la
dictature de la famille
Duvalier» (favorite of the thugs who worked on behalf of the hated
Duvalier family dictatorship before its 1986 collapse)(15). Ainsi, il n'est pas très étonnant que lors du retour en
Haïti de Jean-Claude
Duvalier, il s'est dit prêt à travailler avec quelqu'un ayant servi la
dictature des
Duvalier.
Cinq ans après le séisme
La situation en
Haïti s'est améliorée depuis la catastrophe de 2010. Ce serait dû en grande partie à l'aide internationale selon le Centre d'études et de coopération internationale (CECI) (16). Lors du cinquième anniversaire du séisme, le
président s'est dit fier du fait que 95% des 1,5 million d'
Haïtiens qui vivaient sous la tente après le séisme n'y vivent plus (17). Il a aussi mentionné qu'il restait beaucoup à faire et qu'il n'y avait pas de place pour les tensions politiques.
Or, le pays vit actuellement une crise politique. En
Haïti, le
pouvoir exécutif est assuré par le
président (actuellement Michel Martelly), élu pour cinq ans, ainsi que le
premier ministre et son cabinet. Le
pouvoir législatif est représenté par l'Assemblée nationale formée de deux chambres élues : le
Sénat (Chambre haute) et la Chambre des députés (Chambre basse) (18). Lors des élections de 2011, le parti du
président sortant, Inite, fut celui qui obtint le plus de sièges à la Chambre des députés et au
Sénat (19). Toutefois, d'après David Payne, un ancien député et haut fonctionnaire du Québec qui oeuvre depuis plusieurs années au renforcement des institutions politiques en
Haïti : « Le
président Martelly ne s'est jamais montré respectueux envers les élus (19). »
Martelly veut-il gouverner seul ?
On pourrait qualifier la crise politique que vit actuellement
Haïti de crise électorale puisque, depuis trois ans, plusieurs élections qui auraient dû avoir lieu n'ont pas été organisées (20). Ce qui mena, le 14 décembre 2014, à la démission du
premier ministre Laurent Lamothe, le riche bras droit du
président (21). Ce geste ne calma cependant pas la gronde populaire : le 10 janvier 2015, plus de 1500
Haïtiens manifestèrent leur mécontentement dans les rues de Port-au-Prince (22).
La situation est majeure, car depuis le 12 janvier le
Sénat, qui est normalement composé de 30 sénateurs, en compte seulement 10. De plus, le mandat des 99 députés de la Chambre basse est échu (23). Après la dissolution du Parlement, Michel Martelly nomma par décret son nouveau
premier ministre Evans Paul - un choix que le Parlement avait refusé (24). De plus, le
premier ministre a formé un nouveau
gouvernement le 19 janvier en nommant 34 ministres et secrétaires d'État (25).
Avec un
président qui gouverne par décret et un Parlement non-élu, il semble légitime que ses opposants craignent le début d'un régime dictatorial. Par contre, Martelly promet que des élections auront lieu d'ici la fin 2015.