Le 6 octobre 2015, l'agence de presse Reuters fait part de l'intention du Département américain de la Justice de délivrer 6000 prisonniers. Comme cette libération serait la plus grande qu'aient connue les
États-Unis, il est intéressant de se pencher sur la question du système de prisons américain (1).
En ce qui a trait au milieu carcéral, les
États-Unis peuvent souvent être qualifiés de contre-exemple. Puisqu'ils préconisent des politiques fortement axées sur la «lutte contre le crime», la recherche de solutions face à un nombre croissant de prisonniers se trouve au centre des discussions (2). L'incarcération de masse a sans doute un effet néfaste sur le pays, notamment en raison du budget que nécessitent les prisons. Il importe de mentionner que, lors de son discours dans l'Oklahoma, le
président Barack Obama a évoqué le fait que les sentences imposées aux prisonniers ne soient pas proportionnelles à leurs crimes (3).
Diverses sources au problème carcéral
Aux
États-Unis, 710 habitants sur 100 000 sont incarcérés. Tous paliers confondus, le pays compte 2,3 millions de détenus (4). Ce chiffre regroupe à la fois les institutions
fédérales et régionales. Avec une population de 315 millions d'habitants, les
États-Unis ont le plus haut taux d'incarcérés mondialement. En effet, un citoyen américain en âge d'entrer en prison sur cent est incarcéré (5).
L'existence d'une corrélation entre le niveau d'éducation et l'emprisonnement a été démontrée. Selon le périodique Sciences Humaines, qui expose une étude sur l'incarcération des Noirs américains, 30,2 % des Afro-Américains n'ayant pas fréquenté l'université et 58,9 % de ceux qui se sont retirés du lycée sont allés en prison (6). En 2001, une étude de Lochner et Moretti a démontré une fois de plus l'existence d'un lien statistique entre le niveau de scolarisation et les risques d'incarcération. L'étude s'intéresse tant aux Afro-Américains qu'aux Blancs et souligne le fait qu'un taux plus haut de décrochage au secondaire «augment[e] les probabilités d'incarcération chez les hommes de race blanche et de race noire et qu'une augmentation de dix pour cent du taux d'obtention de diplômes d'enseignement secondaire réduit le taux d'arrestation de 14 à 27 pour cent (7)».
La question de la discrimination et des actes de profilage racial dont sont accusés de nombreuses
autorités policières est un autre facteur souvent évoqué aux
États-Unis. Selon ProPublica, les forces de police abattent 21 fois plus de jeunes hommes afro-américains que de jeunes hommes blancs (8). La même réalité s'applique au milieu carcéral. Une étude prouve que 20 % des Afro-Américains nés entre 1965 et 1969 ont été emprisonnés, comparativement à 3 % des Blancs (9). Le secteur de la justice aux
États-Unis est sans doute celui où sont posés le plus de gestes discriminatoires (10). Les Afro-Américains représentent 40 % de la population carcérale et 13,6 % de celle des
États-Unis. Les Blancs, qui constituent 64 % de la population américaine, correspondent à seulement 39 % des incarcérés (11). Aussi, selon le Centre d'information sur la peine de mort, 34 % des exécutés depuis 1976 étaient des Noirs (12).
Une industrie rentable
L'état actuel du système de prisons américain est qualifié par l'auteure Dahlia Lithwick de crise carcérale. Aux dires du sénateur démocrate James Webb, élu en 2006, le problème que connaissent les prisons américaines est flagrant et sous-tend une erreur dans la mise en place des politiques menant à l'incarcération. Les dépenses qu'exige le milieu carcéral se chiffrent aujourd'hui à 70 milliards de dollars annuellement. Ce taux a crû de 40 % durant la période entre 1989 et 2009 (13).
Le surpeuplement carcéral américain représente une immense plaie pour le pays. Une réduction des peines est-elle envisagée ? Selon un article de La Presse du mois d'octobre 2015, des milliers de détenus qui ont peu de chances de récidiver retrouveront bientôt leur liberté (14).
En vue de trouver une solution, il importe de s'attarder aux avantages et inconvénients qu'apportent les prisons publiques et privées. Avec l'enfermement massif et le milieu carcéral le plus peuplé au monde qui caractérisent les
États-Unis, les prisons privées américaines constituent aujourd'hui une entreprise milliardaire (15). Le directeur du centre de recherche In the Public Interest, Donald Cohen, affirme que l'industrie du secteur carcéral a pris son essor durant la présidence de Ronald
Reagan (16). Cette période, qui s'étend de 1981 à 1989, est fortement caractérisée par l'idéologie
conservatrice et la politique de la main dure, qui consiste en une
gouvernance sévère et axée sur la réduction des crimes. Cela a fait en sorte que les entreprises perçoivent le milieu des prisons comme un bon secteur d'investissement et une manière d'accroître leurs gains (17).
La Corrections Corporation of America (CCA) est qualifiée de «géant américain des prisons privées (18)». Son volume des ventes a effectivement augmenté de 500 % au cours des 20 dernières années. En 2012, la CCA a offert à 48 gouverneurs de racheter leurs prisons, ces établissements étant pris en charge par l'État. Toutefois, la CCA imposait une condition : la «clause d'occupation», selon laquelle les prisons devaient rester pleines à 90 %, peu importe le niveau de criminalité (19). Il apparaît donc évident que les entreprises privées agissent principalement dans un but économique. Elles ne cherchent d'aucune manière à régler le problème de surpopulation des immeubles carcéraux.
Au contraire, elles favorisent la mise en place de mesures législatives entraînant l'augmentation de la population des prisons. Les «three strike laws» permettent d'emprisonner à vie les petits délinquants dès leur troisième infraction. Les «truth-in-sentencing laws» prévoient des peines qui ne peuvent être réduites, de manière à ce qu'elles soient proportionnelles aux délits commis (20).
Cela mène à un questionnement : que se produit-il lorsque le taux de criminalité d'un État baisse considérablement ? Cela a été le cas du Colorado, où le nombre de crimes a grandement diminué au cours des dix dernières années. Entre 2009 et 2013, cinq prisons étatiques ont dû fermer, d'autres prisons du Colorado étant beaucoup moins remplies qu'auparavant. Une entente a toutefois été conclue entre le gouverneur démocrate, John Hickenlooper, et la CCA pour que 3330 prisonniers soient enfermés dans les trois établissements carcéraux du Colorado qui appartiennent à la Corrections Corporation of America (21).
Sans contredit, le problème de la surpopulation des prisons aux
États-Unis durera. Même si le Département américain de la Justice a l'intention de libérer des prisonniers, le nombre d'incarcérés qui sortiront des prisons est négligeable. Alors que les prisons privées peuvent paraître avantageuses économiquement, leur activité peut conduire à une augmentation de la population carcérale (22). Le système pénitentiaire américain constitue sans doute un problème dont les
États-Unis auront peine à se débarrasser.