Depuis le séisme qui a ravagé
Haïti en 2010, sa situation de dépendance face aux institutions internationales s'est accrue. Alors que le pays est confronté à une nouvelle crise humanitaire provoquée par l'ouragan Matthew, la communauté internationale se tourne une fois de plus vers cette ile des Caraïbes, qui a commencé un deuil national le 9 octobre 2016.
Une « dictature humanitaire » ?
L'indice de risque de catastrophes naturelles d'
Haïti est le plus élevé au monde (1). Si ce facteur a contribué à son faible développement, la situation actuelle semble également découler des nombreuses périodes d'occupation du pays.
Aux lendemains de la guerre d'indépendance, les
Haïtiens ont en effet subi « une dette colossale qui a condamné l'économie de la jeune nation, [un] embargo dévastateur puis [une] ingérence sans discontinuité depuis 1804 (2) ». Pour l'ancien ministre de la Culture d'
Haïti, Raoul Peck, l'incapacité de sortir de la crise politique est ainsi attribuable aux interventions étrangères incessantes. L'invasion militaire des
États-Unis, en 1915, provoqua d'ailleurs des conséquences qui s'ensuivirent jusqu'à la fin du siècle.
Aujourd'hui, le contexte ne s'est pas amélioré. L'échec de l'expérience
démocratique des trois dernières décennies a engendré une profonde instabilité politique et des conséquences néfastes patentes, comme en témoigne le journaliste Clarens Renois : « une économie effondrée, un système éducatif en constante dégradation, [...], une société déchirée... (3) ». Pour le secrétaire exécutif de la Plate-forme des organisations haïtiennes des droits humains (POHDH), Antonal Mortime, la catastrophe sociale a été provoquée par l'aide humanitaire mal planifiée et supervisée (4). Le chercheur Jake Johnston affirme pour sa part que la question des fonds destinés à la reconstruction d'
Haïti est au coeur des ambiguïtés de l'aide humanitaire : « For every dollar that USAID spends, less than a penny actually goes directly to any Haitian organizations (5). » Le romancier Lyonel Trouillot parlait ainsi d'une «
dictature humanitaire », illustrant une nouvelle forme d'occupation, cette fois plus sinueuse : l'absence d'un pouvoir réel sur la gestion des ressources du pays (6).
Un progrès possible ?
Le 4 octobre 2016, le passage de l'ouragan Matthew cause 372 morts et laisse 1,4 million de personnes dans un état d'
urgence (7). Alors que le fiasco de la gestion post-séisme en 2010 est empreint dans les souvenirs, les
autorités haïtiennes conçoivent un meilleur contrôle de l'aide humanitaire qui converge vers le pays. Le
président provisoire, Jocelerme Privert, s'attend donc à une coordination accrue de l'aide internationale dans le respect de la
souveraineté du pays, et souhaite que les intervenants étrangers s'y conforment (8). Malgré la corruption du
gouvernement, la chercheure Julie Lévesque soutient que « la solution est loin de résider dans l'abandon du pays aux mains de Washington et Cie (9) ».
Les élections prévues le 9 octobre ont été repoussées par les
autorités haïtiennes, qui doivent en outre faire face à la possibilité d'une nouvelle épidémie de choléra. Pour le Représentant spécial adjoint pour la Mission des Nations unies pour la stabilisation en
Haïti (MINUSTAH), Mourad Wahba, la priorité est de « mieux répartir les denrées permettant à la population de se protéger du choléra, de survivre faute d'avoir encore des réserves de nourriture (10) ». Le ministère de la Santé et les organismes humanitaires sont toutefois mieux organisés pour contrer la menace, selon le
gouvernement haïtien (11).
Plusieurs équipes spéciales ont été envoyées sur le terrain pour évaluer les besoins sur place. Néanmoins, le
gouvernement d'
Haïti estime qu'il demeure impératif d'investir dans ses propres agences publiques et de soutenir les initiatives citoyennes dans la reconstruction du pays pour développer son autonomie à long terme (12).