Un débat fait rage au
Bangladesh depuis quelques années. Le statut de religion officielle accordé à l'islam dans la
Constitution soulève les passions. À tel point que la
Cour suprême est invitée à se positionner dans le dossier. En mars 2016, une décision est rendue. La plus haute instance judiciaire au pays a tranché en faveur du statu quo (1). Cette révision suscite bien des questionnements. La crise existentielle que vit présentement ce pays relève de plusieurs facteurs intrinsèques, autant du point de vue historique qu'actuel.
Une histoire complexe
Né de la partition des
Indes de 1947, le
Pakistan oriental est situé à l'est sur le golfe du Bengale. Le pouvoir alors détenu par le
Pakistan occidental, distant de près de 1600 kilomètres, est loin de satisfaire la population. En 1970, la Ligue indépendantiste Awami remporte les élections au
Pakistan oriental. Cependant, Islamabad, la capitale du
Pakistan, ne reconnaît pas cette victoire (2).
La même année, un impressionnant cyclone frappe le terrioitre, causant près de 500 000 décès. L'aide du
Pakistan occidental tarde et est insuffisante. C'est la goutte qui fait déborder le vase. L'année suivante, le 26 mars 1971, le
premier ministre Sheikh Mujibur Rahman décrète l'indépendance du
Pakistan oriental qui devient le
Bangladesh. En réponse, Yahya Khan, alors
président de la
République du
Pakistan, le fait arrêter et emprisonner. Une
guerre civile éclate. Cette guerre est sanglante, faisant plus de trois millions de morts en six mois (3).
À partir de sa naissance marquée par la violence et l'indignation, le
Bangladesh tirera une leçon. Dès 1972, une nouvelle
Constitution est adoptée. Le pays fonde alors sa
démocratie parlementaire sur quatre principes essentiels : le
nationalisme, la
démocratie, le
socialisme et le sécularisme (4). Pour éviter les conflits internes, le pays se veut alors laïque. C'est-à-dire que la neutralité de l'État à l'égard de toutes les religions l'emporte, même si la population est à majorité musulmane.
La situation change en 1988. L'islam est alors reconnu comme religion officielle par la
Constitution. Les lois demeurent, quant à elles, laïques (5). Cette dualité et cette ambiguïté
constitutionnelle est loin de faire l'unanimité. Avec le temps, cette situation profite aux groupes armés État islamique et Al-Qaïda qui s'installent au pays, devenu propice au recrutement. Si bien que l'on observe depuis quelques années une recrudescence de la violence islamiste. Cette situation inquiète grandement la population. Elle redoute que le sécularisation laisse la place au fondamentalisme.
La percée de l'islamisme radical
La présence des groupes armés État islamique (EI) et Al-Qaïda est maintenant manifeste au
Bangladesh. Une prise d'otages dans un restaurant de la capitale Dacca en juillet 2016, qui a fait au moins 20 morts, a d'ailleurs été revendiquée par l'EI. À ce moment, le journal Le Monde indique que cet événement « fait prendre conscience de la gravité de la menace djihadiste au
Bangladesh (6) ».
Qui plus est, cette prise d'otages meurtrière fait suite à de nombreux meurtres commis au cours des dernières années dans cet État du sud-est de l'Asie. En effet, plus d'une quarantaine d'assassinats ont été perpétrés. Ceux-ci visaient principalement des communautés religieuses minoritaires, notamment les hindouistes, les bouddhistes et les chrétiens. Plusieurs de ces meurtres ont été revendiqués par des groupes armés défendant l'islam radical (7). Al-Qaida, principal revendicateur de ces meurtres, a développé dans la région un important réseau depuis près de vingt ans, ce qui lui assure une certaine
autorité. L'éclatement du conflit entre les deux puissances que sont l'EI et Al-Qaida préoccupe d'ailleurs la population locale (8).
De plus, le parti au pouvoir, la Ligue Awami, cède sous la pression de nombreux groupes religieux fondamentalistes et donne également du terrain au
groupe de pression Hefazat-e-Islam. Le meilleur exemple est le retrait de certaines statues dans les lieux publics. Ce groupe continue à prendre de l'ampleur et il réussit même à obtenir l'appui de la quasi-totalité des groupes islamistes radicaux de la région. En 2013, il a notamment publié un rapport formulant pas moins de treize demandes au
gouvernement, l'une d'entre elles concernait justement le retrait de certaines statues (9). La jeunesse bangladaise semble être attirée par la puissance de ces groupes.
Comme le mentionne le quotidien français Le Monde, « Ce pays, où vivent 145 millions de musulmans, est un terrain propice : en proie à des tentations extrémistes, il est également une porte d'entrée vers l'
Inde (10). » À cet égard, le
Bangladesh constitue un point de mire pour des groupes fondamentalistes et les groupes armés. Cela fait de lui un lieu géostratégique important.
Un gouvernement proactif
Face à la montée persistante en importance de ces nombreux groupes qui menacent la population locale, le
gouvernement tient un discours qui minimise l'ampleur de la situation. Les
autorités locales insistent et nient la présence des groupes armés tels que l'EI et Al-Qaida au
Bangladesh. Ils associent plutôt ces actes de violence à de petits groupes fondamentalistes locaux.
En juin 2016, le
gouvernement a par ailleurs effectué l'arrestation de plus de 5000 individus présumés dangereux et membres de ces petits groupes, en rappelant qu'aucun d'entre eux n'est suspecté de faire partie des groupes armés. Cette importante opération n'a fait qu'envenimer la colère des fondamentalistes qui accusent le
gouvernement de répression non justifiée (11).
Le journal The Diplomat rapporte que le
gouvernement bangladais, dans sa volonté de régler le problème de la montée de l'extrémisme, propose d'établir un système de concertation entre le
Pakistan, l'
Inde et le
Bangladesh. De plus, des actions concertées se doivent d'être menées dans le but de faire cesser ces actes de violence et l'escalade de la haine (12).
Quelques semaines après la prise d'otages de Dacca survenue en juillet 2016, le
Bangladesh a demandé à ses imams de prêcher contre l'islam radical. Selon les
observateurs, la consigne qui suivra « émane de l'imam de la grande mosquée de Dhaka, qui considère l'
islamisme radical comme un fléau moderne (13)». La sacralité de la vie humaine est rappelée et le message est relayé aux fidèles pratiquants.
Le
Bangladesh constitue donc un territoire convoité par les groupes armés de l'islam radical à visées
terroristes. L'explosion du nombre de fidèles reliés à ces groupes inquiète la communauté internationale et, pour en saisir l'essence, comprendre toute la complexité de la situation au
Bangladesh est plus que nécessaire.
Médiagraphie
(1) Le Monde, «
Bangladesh : l'islam, religion officielle et intouchable », 30 Mars 2016, URL
[hyperlien] (page consultée le 18 Novembre 2017)
(2) Hamel, Ian, « Le
Bangladesh pourrait abandonner l'islam comme religion d'État », Le Point International, 9 Mars 2016, URL
[hyperlien] (page consultée le 18 Novembre 2017)
(3) Loc. cit.
(4) Baillat,
Alice, « Le sécularisme au
Bangladesh », Encyclopédie Universalis, URL
[hyperlien] (page consultée le 18 Novembre 2017)
(5) Hamel, Ian, Op. cit.
(6) Zerrouky, Madjid, « Au
Bangladesh, la percée de l'Etat islamique », Le Monde, 4 Juillet 2017, URL
[hyperlien] (page consultée le 18 Novembre 2017)
(7) Loc. cit.
(8) Loc. cit.
(9) Habib, Mohshin, «
Bangladesh Turning More Radical », Gatestone Institute – International Policy Council, 20 Juin 2017, URL
[hyperlien] (page consultée le 18 Novembre 2017)
(10) Zerrouky, Madjid, Op. cit.
(11) Iyengar, Rishi, «
Bangladesh Arrests More Than 5,000 in a Crackdown on Islamic Extremism », Time, 13 Juin 2016, URL
[hyperlien] (page consultee le 18 Novembre 2017)
(12) Venkatachalam, K.S., « The Rise of Islamic Extremism in
Bangladesh », The Diplomat, 6 Juillet 2017, URL
[hyperlien] (page consultee le 18 Novembre 2017)
(13) BBC, «
Bangladesh : l'Etat prêche contre l'islam radical », 15 Juillet 2016, URL
[hyperlien] (page consultée le 18 Novembre 2017)
Dernière modification: 2017-12-02 10:53:02
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