Le
Chili se glorifie aujourd'hui d'être le premier pays exportateur de l'or rouge au monde. On y retrouve la mine d'Escondida, qui produit à elle seule près d'un million de tonnes de cuivre chaque année, représentant 5 % de la production mondiale(1). La mine de Chuquicamata constitue également un site d'envergure, étant la plus grosse mine de cuivre à ciel ouvert au monde. Le
Chili est donc, sans surprise, dépendant de l'exploitation minière, qui représente la majeure partie de son économie(2).
La domination chilienne dans le marché du cuivre
Ce n'est pas d'hier que le métal rouge se retrouve au cœur de l'économie chilienne. Les gisements de cuivre au
Chili sont connus et exploités depuis 1601, mais ce n'est qu'en 1842 que la production à l'échelle industrielle a commencé. Depuis, ce pays est le premier fournisseur et producteur du métal rouge de la planète(3).
En 2017, il a produit plus de 5 millions de tonnes de cuivre, ce qui représente 27,5 % de la production mondiale. À titre comparatif, le deuxième pays sur la liste, le
Pérou, a produit moins de la moitié que le
Chili, avec 12,2 %(4). Le
Chili possède également les plus grandes réserves de cuivre au monde avec 210 millions de tonnes, soit 22 %, alors que l'
Australie suit en deuxième place avec 11 %(5).
L'année 2017 a été marquée par une grève des travailleurs de la mine d'Escondida qui a duré 44 jours. Malgré une chute de 39 % de la production au premier trimestre, le
Chili a tout de même terminé l'année à la tête du classement mondial de la production du métal rouge, loin devant les autres pays(6).
Un minerai public ou privé?
Le 5 mai 1955, le
président Carlos Ibanez del Campo crée le Département du cuivre, donnant à l'État chilien un rôle prépondérant dans l'exploitation du minerai. En 1971, ce département devient l'entreprise publique Codelco. Génératrice de plus de 110 milliards de dollars US de profits depuis sa création, cette entreprise nationale est une source importante de revenus pour l'État. Ses réserves représentent aujourd'hui 6 % des réserves mondiales de cuivre(7).
En 1971, le
président socialiste
Salvador Allende met en place une réforme qui a pour but de nationaliser toutes les mines du pays. Cependant, l'expression « nationalisation du cuivre » est en partie erronée. En réalité, il est possible, à la suite d'un acte de « déclassement de produits », que le cuivre chilien, une fois extrait, n'appartienne plus au domaine public. Il devient ainsi accessible dans le domaine des produits « appropriables et librement commercialisables (8)». L'État chilien possède donc une prérogative sur les mines, alors que, parallèlement, le secteur privé peut investir et participer à leur exploitation(9).
En 1990, la défaite politique du
président, le général Augusto
Pinochet, met fin à 16 ans de
dictature militaire et conduit le
Chili vers une transition
démocratique. Dans ce contexte de transformation du paysage politique, les entreprises minières se sont positionnées, demandant une plus grande décentralisation de l'exploitation du cuivre. Ainsi, des projets d'envergure ont pris place comme ce fut le cas avec la mine d'Escondida, possédée par plusieurs entreprises privées étrangères comme BHP Billiton (
Australie), Rio Tinto PLC (Angleterre) et Jeco Corporation (
Japon). Les milliards investis par ces grandes entreprises leur ont permis de trouver des alliés au sein de la population, à l'exception des populations indigènes et des agriculteurs, tenus à l'écart de la croissance économique spectaculaire qu'a connue le
Chili au cours de ces années(10).
Le bien-être économique ou écologique?
L'industrie du cuivre a fait naître de sérieuses préoccupations environnementales. En effet, la dépendance aux exportations du cuivre a des effets désastreux sur l'environnement(11). Des cas de contamination des eaux ont forcé plusieurs populations à l'exil, comme ce fut le cas avec la ville de Quillagua. En 20 ans, cette ville a perdu 90 % de sa population après la disparition du fleuve Loa, la source d'eau qui permettait une agriculture florissante dans cet endroit le plus aride de la planète. Les compagnies Codelco et Soquimich ont contaminé le fleuve à la suite de ruptures de réservoirs d'eau contaminée. La faune et la population ont été sérieusement affectées(12).
Pour les habitants de la région, majoritairement indigènes, l'industrie minière représente donc une double menace, soit la menace d'assèchement des cours d'eau ainsi que la pollution de ceux-ci(13). La production de cuivre nécessite effectivement une quantité importante d'eau. Pour chaque tonne de métal rouge produite, 500 litres d'eau sont utilisés, ce qui est considérable pour une région aussi sèche(14).
En juillet 2016, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a émis un rapport mettant en garde le
Chili contre son exploitation, jugée trop intensive, de ces ressources naturelles. Le document pointait du doigt le fait que le pays concentre presque exclusivement sa croissance économique sur sa richesse naturelle, dont l'exploitation du cuivre(15).
Dans les zones urbaines et industrielles, le
Chili est aussi miné par une pollution de l'air constamment élevée. De plus, la disparition d'habitats et les problèmes liés à la pollution et la pénurie d'eau touchent particulièrement les zones d'exploitation minière. En revanche, le rapport produit par l'OCDE mentionne l'investissement fait par les compagnies minières afin de développer des sources alternatives d'approvisionnement de l'eau, telles que le dessalement des eaux(16).
Ainsi, les exploitations massives de produits miniers ne cohabitent pas très bien avec les activités traditionnelles de la population locale. Les communautés se retrouvent souvent devant un dilemme, créant des conflits entre citoyens. La proposition alléchante d'emplois bien rémunérés dans les mines pèse fort dans la balance, alors que les agriculteurs voient leurs récoltes détruites par l'asséchement ou la contamination des cours d'eau. Rodrigo Villablanca, un agriculteur de la région de Pastalito, s'exprime ainsi au sujet de ses voisins travaillant dans les mines : « […] la plupart savent qu'ils sont en train de détruire la vallée et, le soir, quand ils boivent [de l'eau], ils pleurent (17)».
En 2017, la population et la classe politique furent divisées par le projet de la mine Dominga. Ce mégaprojet représentait un investissement de 2,5 milliards de dollars et une promesse de plus de 10 000 emplois. Dominga prévoyait devenir le plus gros site d'exploitation de cuivre avec l'extraction de 12 millions de tonnes par année. L'impact environnemental, considéré comme extrêmement préoccupant, était au cœur des débats. Un comité spécial composé de ministres chiliens a mis fin au chantier de la société privée Andes Iron (18). Ce type de projet d'une telle envergure risquait de causer des dommages irréversibles sur les écosystèmes(19).
Le
gouvernement se retrouve donc dans une position complexe. Les pressions faites par les organisations environnementales, les agriculteurs et une partie de la population, le forcent à trancher entre des projets aux intérêts stratégiques et économiques considérables ou la défense de l'environnement. Après avoir sollicité pendant des années les compagnies étrangères à venir encourager l'industrie minière du pays, le
gouvernement est contraint aujourd'hui de reconsidérer la place prépondérante qu'occupe l'industrie de l'or rouge pour la nation chilienne(20).