19 décembre 2024

19 novembre 2019

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L'Italie face à l'hiver démographique

Depuis l'essoufflement du pic de natalité, l'Occident est aux prises avec les plus bas taux de natalité de son histoire. Ce déclin graduel accompagne la fin des Trente Glorieuses, période de croissance économique qui participe à l'amélioration des conditions de vie des Occidentaux entre 1945 et 1975 (1).

Le phénomène a des répercussions planétaires. Les taux de fécondité, à savoir le nombre moyen d'enfants par femme (2), chutent drastiquement. Entre 1950 et 2017, le taux de fécondité mondial est passé de 4,7 à 2,4 enfants par femme (3). L'Europe n'est pas épargnée. À l'heure actuelle, aucun pays européen n'atteint le seuil de renouvellement de 2,1, nécessaire pour qu'une génération assure son remplacement (4).

Des pays traditionnellement catholiques, à savoir l'Italie (1,34), l'Espagne (1,34) et le Portugal (1,36), sont au bas de la liste. Seule la France se distingue avec son taux de fécondité de 1,92, le plus élevé en Europe (5). Jadis championne de la natalité en Europe (6), l'Italie est maintenant aux prises avec un vieillissement alarmant de la population. Pour la première fois depuis un siècle, la population italienne décroît (7).

La valse des chocs

La crise économique de 2008 frappe l'Italie de plein fouet. Le revenu disponible net des ménages italiens, c'est-à-dire le revenu restant après les prélèvements obligatoires, est inférieur à tous les pays de l'Union européenne (8). Avec une dette qui s'élève à 131,8 % du produit intérieur brut, l'Italie est aussi le deuxième pays le plus endetté de l'Union, derrière la Grèce (9). Cerise sur le gâteau, la population active chute de 560 000 personnes depuis 2015, alors que le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans grimpe à 33 % (10).

L'Italie est scindée en deux. Le Nord du pays affiche une meilleure situation économique que bien des pays européens. Or, le Mezzogiorno, qui englobe les régions au Sud de la capitale, est incapable d'emboîter le pas et dépend grandement de l'économie souterraine ainsi que des versements de retraite (11). Face à l'impasse économique, les jeunes sont découragés. Dans le Mezzogiorno, seuls quatre diplômés universitaires sur dix arrivent à trouver un emploi dans les trois ans suivant la fin de leurs études. Quant aux femmes, seules 20 % d'entre elles travaillent dans le Sud du pays, contre 58 % dans le Nord (12).

Les conséquences sur la natalité se font sentir. D'abord, l'unique région qui présente un taux de natalité supérieur au taux de mortalité est la province de Bolzane, dans le Nord du pays. Toutes les autres régions connaissent une baisse graduelle de la population (13). Selon Francesco Scalone, un démographe de l'Université de Bologne, les jeunes couples retardent leurs plans familiaux, faute de moyens pour subvenir aux besoins des enfants. Pourtant, selon un sondage de l'Institut national de statistique (Istat), « la femme italienne moyenne » aimerait avoir deux enfants ou plus (14).

Derrière les raisons économiques se cachent également les mœurs. Selon le sociologue Marc Lazar, la société italienne n'encourage pas suffisamment les naissances (15). Les manifestations en sont nombreuses. Les jeunes tardent à quitter le « nid parental » et voler de leurs propres ailes en fondant une famille (16). De plus, malgré le déclin de l'influence de l'Église, qui a longtemps encadré la politique familiale à la place de l'État, 72 % des enfants sont nés de parents mariés (17).

Un cercle vicieux

Certains Italiens choisissent cependant de délaisser ce mode de vie. Depuis 2008, plus de deux millions de jeunes Italiens quittent leur pays, enclenchant un véritable exode des cerveaux. Pour Andrea Garnero, économiste de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « si ces cerveaux et ces mains […] ne reviennent pas ou ne sont pas remplacés […], l'économie sera à bout de souffle (18) ».

L'émigration se combine au vieillissement accéléré de la population. Avec 168 personnes âgées pour 100 jeunes, l'Italie n'est dépassée que par le Japon, le plus « vieux » pays du monde (19).

La situation devient un cercle vicieux. D'un côté, l'émigration affaiblit l'économie italienne. De l'autre, le reste de la population se retrouve à supporter le fardeau des pensions toujours grandissantes, accentuant davantage les difficultés économiques du pays. Par conséquent, l'émigration s'accélère, l'État s'endette et la natalité baisse (20).

Le seul facteur qui freine ce phénomène est l'immigration. Sans l'apport de nouveaux arrivants, la population italienne aurait déjà été amincie de 1,3 million d'habitants, l'équivalent de la population de Milan (21). Selon les chiffres de l'Istat, l'Italie compte environ 5,3 millions d'immigrants en 2018, soit 8,7 % de la population (22). Selon Gérard-François Dumont, professeur à l'Université Paris-Sorbonne, le reste des migrants africains déjà sur place utilisent l'Italie comme zone de transit afin d'accéder à l'espace Schengen, à l'image de la situation migratoire en Espagne (23).

Or, contrairement à l'Espagne, la population italienne reste méfiante. Selon un sondage mené par Ipsos en 2017, 66 % des Italiens croient qu'il y a « trop d'immigrants » dans leur pays (24). Une partie du gouvernement fait écho à cette réalité. L'ancien ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini, dénonce en 2018 l'instrumentalisation de la faible natalité comme « excuse » à « l'importation des immigrants (25) ». Chef de la Ligue du Nord, un parti populiste, Salvini prévoit combattre le problème démographique avec des politiques natalistes afin d'éviter ce que l'essayiste français Jean-Paul Baquiast appelle « la mort prévisible de la civilisation italienne (26) ».

Le rocher de Sisyphe

Pour combattre le déclin démographique, le gouvernement italien déploie annuellement un arsenal de politiques natalistes. En 2015, le gouvernement de Matteo Renzi propose un « bonus bébé » de 80 euros pour les familles gagnant moins de 1500 euros par mois (27). Un an plus tard, constatant l'inefficacité du programme, une Journée de la Fertilité est lancée pour inciter les jeunes couples à procréer. La campagne s'achève sans grand succès (28).

Le changement de gouvernement a peu d'incidence. En 2017, des prêts bancaires de 10 000 euros sont proposés aux familles sous le gouvernement de Paolo Gentiloni (29). L'année suivante, le gouvernement de Giuseppe Conte promet des terres aux couples mariés, une politique qui vise à faire d'une pierre deux coups en luttant à la fois contre la désertification rurale et la dénatalité (30).

Les résultats ne sont pas convaincants. En 2019, l'Italie est au bord du gouffre. La crise démographique est semblable à celle de la Grande Guerre (31). L'Italie ne mène pas seule ce combat. Après le « choc du 1,57 », le Japon est dans le même bateau. La bataille est loin d'être gagnée, mais certaines municipalités japonaises trouvent des moyens pour combattre la dénatalité. C'est le cas de la ville de Nagicho qui double son taux de fécondité en 2014 grâce à des subventions gouvernementales (32).

Selon une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined), la clé de ces réussites réside dans l'accès des femmes au marché du travail. C'est du moins le constat d'Angela Luci et d'Olivier Thévenon, chercheurs à l'Ined, qui remarquent que « la remontée de la fécondité est associée à un taux d'emploi élevé chez les femmes (33) ». L'Italie, qui se classe parmi les plus bas taux d'emploi des mères en Europe (34), a donc des leçons à tirer.

Médiagraphie

(1) NORMAND, François, « Les trente glorieuses et les débuts de la société de consommation », Les Affaires, 3 janvier 2013, URL [hyperlien] page consultée le 16 novembre 2019.

(2) Institut national de la statistique et des études économiques, « Taux de fécondité/Quotient de fécondité », 13 octobre 2016, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(3) The Lancet, « Population and fertility by age and sex for 195 countries and territories, 1950–2017: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017 », Global Health Metrics, volume 392, numéro 10159, 10 novembre 2018, URL [hyperlien] page consultée le 16 novembre 2019.

(4) Institut national d'études démographiques, « Remplacement des générations », 2019, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(5) RTBF, « Italie : le plus faible taux de natalité d'Europe avec l'Espagne (carte) » RTBF, 1er novembre 2018, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(6) HENRY, Louis et Roland PRESSAT, « Évolution de la fécondité en Italie », Population, volume 10, numéro 3, 1955, pages 501 – 503, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(7) Istituto Nazionale di Statistica, « National demographic balance – year 2018 », Istat, 3 juillet 2019, page 2 URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(8) OCDE, « Revenu disponible des ménages », 2019, URL [hyperlien] page consultée le 16 novembre 2019.

(9) MANCINO, Davide, « En Italie, une crise économique sans fin », Courrier international, 8 février 2019, URL [hyperlien] page consultée le 16 novembre 2019.

(10) LENGLET, François, « Italie : une bombe à retardement économique en Europe ? », RTL, 8 février 2019, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(11) Loc. cit.

(12) Le Petit Journal Milan, « Appauvri, le Sud de l'Italie décroche », Le Petit Journal, 11 novembre 2019, URL [hyperlien] page consultée le 16 novembre 2019.

(13) Istituto Nazionale di Statistica, op. cit.

(14) BIROT, Megan, « What does a plummeting birth rate mean for Italy's future? », The Local, 27 juin 2018, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(15) CHARREL, Marie et Jérôme GAUTHERET, « Italie : un vieillissement accéléré et ses conséquences », Le Monde, 16 juin 2019, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(16) Loc. cit.

(17) Eurostat, « Are more babies born inside or outside marriage? », Commission européenne, 16 avril 2018, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(18) ROMEI, Valentina, « Record Italian emigration and low birth rate drive economic fears », Financial Times, 7 février 2019, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(19) AFP, « L'Italie confirme son statut de second pays le plus vieux au monde », Europe 1, 16 mai 2018, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(20) ROMEI, Valentina, op. cit.

(21) Istituto Nazionale di Statistica, op. cit.

(22) Loc. cit.

(23) DUMONT, Gérard-François, « La crise démographique et la question migratoire », Fondation ResPublica, 5 décembre 2018, URL, [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(24) Ipsos, « Global views on immigration and the refugee crisis », septembre 2017, page 10, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(25) BAULT, Olivier, « L'Italie veut remplacer l'immigration par la natalité », Présent, 31 juillet 2018, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(26) BAQUIAST, Jean-Paul, « La mort prévisible de la civilisation italienne », Mediapart, 29 avril 2019, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(27) The Local, « Italy's new mums to get €80 “baby bonus” », The Local, 20 octobre 2014, URL, [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(28) MAGNARD, Camille, « Faites des bébés, c'est le gouvernement italien qui vous l'ordonne! », France Inter, 22 septembre 2016, URL [hyperlien] href='/./bilan/servlet/BMDictionnaire/1495'>gouvernement-italien-qui-vous-l-ordonne, page consultée le 11 novembre 2019.

(29) France 2, « Italie : une aide financière pour la natalité », France Info, 8 novembre 2017, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(30) BENEDETTI, Silvia, « Italie : relancer la natalité en offrant des terres », Le Soir, 1er novembre 2018, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(31) Le Petit Journal Milan, « L'Italie face à sa plus grosse baisse démographique en 100 ans », Le Petit Journal, 26 juin 2019, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(32) The Economist, « A small town in Japan doubles its fertility rate », The Economist, 9 juin 2018, URL [hyperlien] page consultée le 16 novembre 2019.

(33) BELLAN, Marie, « Plus les femmes travaillent, plus la fécondité augmente », Les Échos, 22 septembre 2011, URL [hyperlien] page consultée le 11 novembre 2019.

(34) L'Observateur, « Les femmes et l'emploi », OCDE, 2019, URL [hyperlien] href='/./bilan/servlet/BMDictionnaire/1563'>observateurocde.org/news/archivestory.php/aid/748/Les_femmes_et_l_92emploi_en_Italie.html, page consultée le 16 novembre 2019.



Dernière modification: 2019-11-24 14:03:45

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