Les origines de la criminalité au
Mexique remontent au début du 20e siècle. En fait, dès les années 1910, certains groupes mexicains, en collaboration avec les
autorités politiques, ont fait le commerce du cannabis et de l'opium(1). Avec la création d'un parti d'État, le Parti
révolutionnaire institutionnel, en 1929, cette collusion entre crime et politique ne fait que se renforcer : cela permet aux organisations criminelles de développer leur commerce sans crainte d'être poursuivies en justice. Les cartels mexicains peuvent donc s'adonner, dès les années 1970, au trafic de cocaine.
À l'époque, ce sont les cartels colombiens de Medellin et de Cali qui contrôlent le marché de la cocaine vers les
États-Unis. Avec leur démantèlement, au milieu des anneés 1990, les cartels mexicains ont pris la relève et sont devenus beaucoup plus puissants qu'auparavant (2). Cette situation a amené les organisations mexicaines à lutter entre elles pour le contrôle du trafic de drogue vers le voisin américain: ces violences, déclenchées en 2005, sont considérées par le
président mexicain Felipe Calderon comme une menace pour l'État mexicain (3).
Un portrait inquiétant
Le
gouvernement mexicain affirme qu'il y aurait sept cartels présents dans l'ensemble du pays. Quatre organisations sont néanmoins dominantes : le cartel de Tijuana, situé à la frontière de la Californie; le cartel de Sinaloa, sur la côte ouest du
Mexique; le cartel de Juarez, à la frontière du Texas; et le cartel du Golfe, sur la côte est du pays, le long du golfe du
Mexique (4).
Deux blocs d'alliances se seraient créés : d'un côté, les cartels de Tijuana et du Golfe feraient front commun, alors que de l'autre ceux de Sinaloa et de Juarez se seraient unis. Leur but ultime est de contrôler l'ensemble des zones de production et de transit de drogues vers les
États-Unis. Le marché serait d'ailleurs très lucratif : à titre d'exemple, l'ensemble des cartels produirait 10 000 tonnes de marijuana par année pour une valeur de 25 milliards de dollars (5). De plus, 90% de la cocaine présente en sol américain proviendrait du
Mexique (6). Les organisations mexicaines exportent également de l'héroine et des métamphétamines.
Cette lutte pour le contrôle du trafic de drogue a amené son lot de morts. En 2008, il y aurait eu environ 5300 meurtres reliés aux activités des cartels (7), dont 1600 dans la seule ville de Juarez, fief du cartel du même nom. De plus, depuis 2000, l'organisme Reporters sans frontières rapporte 40 assassinats de journalistes, dont plus de la moitié auraient enquêté sur le narcotrafic (8). Les enlèvements sont aussi fréquents au pays, estimés entre 700 et 1000 par année. Des personnalités connues ou des membres de leur famille sont enlevés par des narcotraficants moyennant rançon. À titre d'exemple, en 2008, le fils d'un homme d'affaires, Fernando Marti, 14 ans, a été enlevé; malgré le paiement d'une rançon, ses kidnappeurs l'ont tout de même exécuté. Des policiers auraient même été impliqués dans l'enlèvement (9).
Grâce à leurs revenus, les cartels mexicains sont en mesure de corrompre les
autorités. Ainsi, en 2001, quatre chefs militaires, dont un général, ont été arrêtés pour avoir reçu de l'argent du cartel du Golfe (10). De même, en 2003, le chef de l'anti-drogue de la ville de Tijuana a été arrêté : il était prêt à libérer un membre de cartel et cinq tonnes de marijuana saisies par la police contre deux millions de dollars. À cette époque, le procureur général du
Mexique considérait que 15% du personnel du ministère de la Justice faisait affaire avec les cartels (11). Encore aujourd'hui, certains membres de l'Agence
fédérale d'investigation (AFI), le FBI mexicain, sont soupçonnés de faire affaire avec ces groupes criminels.
Les organisations criminelles mexicaines utilisent aussi leurs revenus pour acheter des armes. Ainsi, les cartels possèdent de l'armement militaire tel des mitrailleuses lourdes, des lance-grenades, des fusils d'assaut, même des hélicoptères. En fait, 90% de leur armement provient des
États-Unis (12). La capacité des cartels à s'armer de la sorte ne fait que renforcer leur capacité à mener la guerre contre leurs rivaux.
Riposte gouvernementale
Pour tenter de freiner la violence reliée au trafic de drogue, le
gouvernement mexicain a décidé de mettre la main à la pâte. Ainsi, le
président Calderon a mobilisé, depuis 2006, 36 000 militaires et policiers dans l'ensemble du pays (13). Il a aussi augmenté le salaire des troupes luttant contre les cartels de 50% afin d'éviter leur éventuelle corruption. Le
gouvernement mexicain a également mis en place le plan Mexico Seguro, qui vise la coordination des
autorités
fédérales, régionales et locales afin de lutter plus efficacement contre les activités criminelles reliées au trafic de drogue (14). La menace d'extradition vers les
États-Unis est aussi invoquée afin de dissuader la propagation d'actes criminels.
Par ailleurs, le
gouvernement américain finance l'effort mexicain. En effet, les
États-Unis ont lancé l'Initiative de Merida, une aide financière de 1,4 milliards de dollars au
Mexique afin de vaincre la violence des cartels. Washington a également versé 136 millions de dollars au
gouvernement mexicain en coopération militaire (15), tout en facilitant l'achat de matériel par l'administration mexicaine.
Progrès insuffisants
Malgré sa bonne volonté, le
gouvernement mexicain semble incapable, pour l'instant, de mettre fin à la violence due aux activités des cartels. De janvier 2000 à septembre 2006, 79 000 personnes ont été arrêtées par rapport au trafic de drogue; de ce nombre, 78 831 n'étaient pas des membres importants des organisations criminelles (16).
Pourtant, la lutte aux cartels de la drogue a récemment été couronnée de succès. Ainsi, la DEA américaine a arrêté, en 2006, le chef du cartel de Tijuana, Francisco Javier Arellano Felix. Les
autorités mexicaines ont également mis la main, en mars et avril 2009, sur Vicente Zambada Niebla, membre influent du cartel de Sinaloa, et sur Vicente Caville Leyva, chef du cartel de Juarez.
Malgré tout, les cartels mexicains semblent toujours en mesure de mener à terme leurs opérations. En fait, avec l'arrestation de hauts dirigeants des cartels, les organisations se sont décentralisées et la violence autour du contrôle du trafic s'est accrue. De plus, la corruption qui frappe l'État mexicain permet aux criminels de poursuivre leurs activités sans crainte d'être arrêtés. Certaines agences américaines considèrent d'ailleurs le
Mexique comme étant un «État en échec» (17), c'est-à-dire un État où la règle de droit n'est plus respectée. Le
gouvernement mexicain a donc encore du pain sur la planche s'il veut éliminer les cartels de la drogue du paysage politique.