Renversement du président malien Modibo Keita
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde
Un petit groupe de militaires, dirigés par le lieutenant Moussa Traoré, renverse le président malien Modibo Keita, en poste depuis l'indépendance en 1960. Un gouvernement provisoire est formé avec l'intention d'assainir « la situation sous tous les plans », notamment en instaurant des réformes démocratiques.
Modibo Keita est le premier président du Mali lorsque ce pays proclame son indépendance, le 22 septembre 1960. Celle-ci fait suite à l'éclatement de l'éphémère Fédération du Mali, formée entre le Soudan français et le Sénégal. Un pan-africaniste engagé, Keita prône le non-alignement à l'extérieur et un modèle de développement socialiste sur le plan domestique. Des réformes sont mises en place en agriculture ainsi que dans le commerce et le secteur manufacturier. Un franc malien est adopté en 1962. Des problèmes économiques et financiers minent cependant le jeune pays. Ils attisent le mécontentement, tout comme l'attitude autoritaire du régime de parti unique du président, l'Union soudanaise - Rassemblement démocratique africain, qui proclame la « révolution active » et suspend la Constitution en 1967. Le 19 novembre 1968, un petit groupe de militaires, dirigés par le lieutenant Moussa Traoré, renverse Keita sans violence et le fait emprisonner. Un gouvernement provisoire est formé sous le premier ministre Yoro Diakité, alors que Traoré est l'homme fort du nouveau régime. Il s'engage à restaurer les libertés individuelles, favoriser le multipartisme et le droit à la syndicalisation ainsi qu'à entreprendre des réformes économiques libérales, particulièrement en agriculture. Malgré les promesses d'un référendum constitutionnel, d'élections à l'Assemblée nationale et d'un retour rapide des militaires dans les casernes, le Comité militaire de libération national mis en place en 1968 conservera le pouvoir. Diakité sera écarté et envoyé aux travaux forcés, alors que Keita décédera en détention en mai 1977 dans des circonstances obscures. Traoré demeurera à la tête du pays. Il gouvernera de façon autoritaire jusqu'à ce qu'il soit renversé à son tour en 1991.
Dans les médias...
P.S., « Dix-septième putsch militaire africain »
«...En raison, précisément, des influences étrangères, des divergences s'étaient fait jour depuis quelque temps, entre « jeunes turcs » et anciens cadres « de carrière », formés en France, voire issus des ex-troupes de l'Union française, mettant ainsi le chef d'État-major malien, le colonel Sekou-Traoré, dans une position délicate. D'autre part, en réprimant, en 1964, avec rudesse, le soulèvement des Touaregs, l'armée avait rehaussé son prestige tout en acquérant une créance sur le gouvernement du Président Modibo Keita, homme intègre, jouissant de la considération et de la confiance populaire. Le déroulement des événements de Bamako, depuis la spectaculaire arrestation de Keita sur le débarcadère de Koulikoro jusqu'à la constitution d'un gouvernement provisoire à direction militaire mais comprenant aussi des civils, souligne le rôle déterminant joué par une poignée d'officiers subalternes. Comme dans le cas du « putsch » togolais, il semble bien, en effet, que le coup d'État de la fin novembre n'a été le fait ni des « colonels », ni du chef de l'armée, mais bien des « capitaines ». Il serait prématuré d'en conclure que l'action a été inspirée par la Chine ou l'U.R.S.S. »
Esprit (France), janvier 1969, p. 104.
Philippe Decraene, « Conflit de générations et divergences idéologiques »
«...L'armée pour sa part, n'est pas unie derrière ses chefs. Son chef d'état-major, le colonel Sekou Traore, dispose d'une autorité réduite. Car, au sein des forces armées, comme au sein du parti unique, des luttes de tendances se manifestent. Plus âgés, les anciens combattants des troupes coloniales françaises, vétérans des campagnes d'Indochine ou d'Algérie, sont généralement assez proches des vieux dirigeants de l'Union soudanaise. Mais tel n'est pas le cas de leurs cadets, tous inconnus de l'opinion malienne. (...) Ayant beaucoup contribué à renforcer les assises du régime de M. Modibo Keita à l'occasion du soulèvement des Touaregs, qu'ils écrasèrent au début de l'année 1984, les militaires maliens ont conscience de leur force. Ils sont peu enclins au compromis, soit avec les dirigeants civils, qu'ils estiment inefficaces, soit avec leurs chefs, qu'ils jugent trop directement liés aux hommes politiques. Ce sont donc les officiers subalternes, voire les sous-officiers qui, au Mali comme au Togo ou au Congo-Brazzaville, vont donner un nouveau style au régime malien. Leur succès est lié au maintien de leur unité, car, s'ils ne parviennent pas à maintenir leur union, les divergences qui les opposent risquent de nuire très rapidement à un pays qui avait connu huit années de stabilité politique depuis son accession à l'indépendance. »
Le Monde (France), 21 novembre 1968, p. 10.
S.A., « Mali : Army 9, Civilians 0 »
«...By the time he (Keita) got back to Bamako, he was out of a job, the victim of a quick and bloodless coup organized by moderate young army officers fed up with Leftist Keita's growing political radicalism and economic failures. Once again, a freewheeling African civilian government had been overthrown by a more conservative military, the ninth such coup since 1965. The takeover, in contrast to the bungling inefficiency that has characterized Keita's eight years in power, went off with impressive efficiency. (...) Saddled with the task of restoring at least a semblance of normality is the country's new leader, Moussa Traore, 32, an army lieutnant who graduated first in his class from France's Overseas Officers' School at Fréjus some years ago. Under his direction, the National Liberation Committee has moved quickly to consolidate its rule. It ordered statues and portraits of the imposing Keita torn down, the Red Guard militia abolished. Free elections have been promised, and private enterprise has been invited into the country. Clearly, the new rulers of the former French colony where abandoning Keita's policy of increasing dependence on Communist China and the Soviet Union. »
Time (édition canadienne), 29 novembre 1968, p. 41.
Gouvernance et gouvernement [ 19 novembre 1968 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
---|---|---|---|
![]() | Faible | Moussa Traoré | Yoro Diakité |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).