2 mai 2025

17 septembre 2019

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Changement de cap : l'Espagne devient la destination privilégiée des migrants africains

La mort du général Francisco Franco en 1975 marque la fin d'un régime dictatorial en Espagne. Le pays connait dès lors une transition démocratique qui s'accompagne d'un accroissement progressif de l'immigration (1). La libéralisation de l'Espagne nécessite une abondante source de main-d'œuvre non qualifiée, attirant ainsi des vagues successives d'immigrants : Latino-américains dans les années 80, Européens de l'Est dans les années 90, puis Africains de l'Ouest dans les années 2000 (2).

L'entrée en vigueur de la convention de Schengen en 1995 instaure un espace de libre circulation pour les citoyens européens. En parallèle, le durcissement des conditions d'entrée pour les étrangers dévie l'attention des immigrants africains vers le sud de l'Europe. Désormais attirés par l'Espagne et l'Italie, ils délaissent progressivement leurs destinations traditionnelles à l'aube du nouveau millénaire (3).

Un pont entre deux continents

En 2018, l'Espagne détrône l'Italie, qui ferme ses portes aux migrants, devenant ainsi championne en matière d'immigration clandestine au sein de l'Union européenne (4). Au total, 65 383 migrants traversent le détroit de Gibraltar qui sépare l'Espagne du Maroc, contre 23 370 en Italie et 50 508 en Grèce.

En 2015, alors que la crise des migrants secoue l'Europe, le nombre d'immigrants en Espagne s'élève à 16 936. Il descend à 14 605 l'année suivante, avant de monter à 28 349 en 2017. Trois quarts de ces Africains sont des hommes, principalement issus du Maroc, du Mali et de la Guinée (5). Le Maroc étant aux portes de l'Europe, il représente la destination finale des migrants avant qu'ils ne quittent l'Afrique.

Le Maroc est également convoité par les migrants africains pour la présence d'enclaves espagnoles sur son territoire (6). En 2018, c'est à travers deux villes autonomes espagnoles situées au nord du Maroc, Ceuta et Melilla, que plus de 6 800 personnes traversent la frontière sans jamais quitter l'Afrique (7).

Ces enclaves fortifiées, vestiges du passé colonial de l'Espagne, n'attirent cependant que 10 % des immigrants africains. La présence de barbelés et de gardes pousse le reste à emprunter la voie maritime pour rejoindre les côtes andalouses, dans le sud de l'Espagne (8). C'est ainsi que des milliers d'Africains mettent le cap sur Tarifa, la ville andalouse à l'extrême pointe de l'Europe continentale, ou encore sur Malaga à l'est du pays (9). Le voyage reste toutefois dangereux. En 2018, 811 migrants y perdent la vie, quatre fois plus que l'année précédente (10).

La rétention reste cependant faible. Le taux de chômage élevé incite les migrants africains à se déplacer vers le nord, que ce soit en France, en Belgique ou en Allemagne (11).

Le mouton noir de l'Europe

Du côté espagnol, la solidarité se maintient. En 2018, l'accueil du navire Aquarius par le président socialiste, Pedro Sanchez, contraste avec le reste de l'Europe. Refusé par l'Italie et Malte, ce navire transportant 630 réfugiés arrive à bon port à Valence, dans l'est de l'Espagne (12).

Ce geste reflète l'attitude qu'affiche traditionnellement l'Espagne à l'égard des immigrants depuis l'adoption de la démocratie dans les années 1970. Selon un sondage du Pew Research Center mené en 2018, 86 % des Espagnols sont en faveur d'accueillir des migrants qui fuient la violence et la guerre (13).

Pour l'analyste politique espagnole Carmen Gonzalez Enriquez, cette solidarité découle de l'isolement engendré par l'héritage du dictateur nationaliste Franco, qui pousse les Espagnols à se démarquer du reste des Européens (14). Ainsi, selon le Centre d'investigations sociologiques, seuls 8,9 % des Espagnols ont pour priorité l'enjeu de l'immigration (15).

Le consensus relatif au sujet de l'immigration est également visible dans l'arène politique espagnole, qui reste peu imprégnée par les questions identitaires liées à l'immigration (16). Parmi les cinq principaux partis en Espagne, seul Vox, un parti populiste et identitaire, se positionne clairement contre l'immigration (17).

L'équilibre reste cependant fragile. Avec 10 % des voix, Vox progresse sur la scène politique espagnole et remporte 24 sièges sur 350 au sein du Congrès des députés, la Chambre basse en Espagne (18). Avec la fermeture de la route italienne, puis grecque, la tolérance espagnole risque de se fragiliser maintenant que l'Espagne est la principale voie d'accès pour les migrants africains (19).

Médiagraphie

(1) ROBIN, Nelly, « L'immigration subsaharienne en Espagne vue du Sud : entre appel économique et protectionnisme politique », Migrations Société, volume 5, numéro 125, 2009, page 71, URL [hyperlien] consulté le 7 septembre 2019.

(2) HEDGECOE, Guy, « Migration surge tests Spain's “fragile tolerance” », Politico, le 30 juillet 2018, URL [hyperlien] consulté le 7 septembre 2019.

(3) ROBIN, Nelly, op. cit. pages 73 – 74.

(4) HEDGECOE, Guy, op. cit.

(5) UNHCR, « Refugee situation in Spain », juillet 2019, URL [hyperlien] consulté le 7 septembre 2019.

(6) THIBAUD, Cécile, « L'Espagne est devenue la première voie d'entrée en Europe pour les migrants », Les Échos, le 28 juillet 2018, URL [hyperlien] consulté le 7 septembre 2019.

(7) UNHCR, op. cit.

(8) THIBAUD, Cécile, op. cit.

(9) VERDIER, Marie, « L'Espagne, nouvelle route des migrants vers l'Europe », Bilbao, La Croix, le 24 août 2018, URL [hyperlien] href='/./bilan/servlet/BMPays/ESP'>Espagne-nouvelle-route-migrants-vers-lEurope-2018-08-24-1200963645, consulté le 7 septembre 2019.

(10) UNHCR, op. cit.

(11) VERDIER, Marie, op. cit.

(12) JONES, Sam, « Spain's right whips up fear as migration surge hits Andalucian shores », The Guardian, Algeciras, le 5 août 2018, URL [hyperlien] consulté le 7 septembre 2019.

(13) SALEEM, Aasim, « Myth or reality: is Spain the most friendly European state for refugees? », Info Migrants, le 2 janvier 2019, URL [hyperlien] , consulté le 10 septembre 2019.

(14) JONES, Sam, op. cit.

(15) PIQUER, Isabelle, « Le gouvernement durcit sa position sur l'immigration clandestine », Madrid, Le Monde, le 27 avril 2019, URL [hyperlien] href='/./bilan/servlet/BMDictionnaire/1495'>gouvernement-espagnol-durcit-sa-position-sur-l-immigration-clandestine_5455421_3210.html, consulté le 7 septembre 2019.

(16) FRAYER, Lauren, « Unlike elsewhere in Europe, the Far Right in Spain stays on the fringe », NPR, le 16 mars 2017, URL [hyperlien] consulté le 7 septembre 2019.

(17) HEDGECOE, Guy, op. cit.

(18) France 24, « Législatives espagnoles : les socialistes en tête mais sans majorité absolue », France 24, le 28 mars 2019, URL [hyperlien] consulté le 10 septembre 2019.

(19) SALEEM, Aasim, op. cit.



Dernière modification: 2019-09-23 12:17:46

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