Depuis octobre 2015, l'Europe est aux prises avec une vague de migration sans précédent. Plusieurs dizaines de milliers de migrants se bousculent aux frontières de l'Europe dans l'espoir d'y trouver refuge. Par exemple, l'Allemagne dit avoir accueilli environ 10 000 réfugiés syriens par jour au cours du mois d'octobre. Berlin estime qu'elle en aura accueilli entre 800 000 et un million d'ici la fin de l'année (1).
Ce flux de personnes amène son lot de tensions sociales et plusieurs capitales européennes commencent à prendre des mesures afin de pallier la situation. Bien que le phénomène soit moins médiatisé qu'en Allemagne, l'Italie est en proie, elle aussi, à une vague de migration qui commence à causer des problèmes dans le pays(2).
Une immigration venue du Sud
L'Italie se distingue de son voisin allemand par l'origine de ses réfugiés. En effet, la vaste majorité de son immigration provient d'Afrique, principalement de Libye. Ces Africains passent généralement la Méditerranée par bateau avec comme destination la Sicile ou le sud du pays. Le coût demandé par les passeurs varie entre 800 et 8 000 euros (3). L'Italie se distingue aussi de ses voisins européens par l'attitude qu'elle a envers ce flux de personnes. Au lieu de refouler les personnes à leur frontière, les autorités italiennes portent plutôt assistance aux bateaux près de leurs côtes.
Cette mesure s'appelle l'opération Mare Nostrum. Elle fut votée par le Parlement italien après la mort de 360 personnes dont le bateau a coulé près des côtes italiennes en octobre 2013. Depuis son implantation, l'opération Mare Nostrum a aidé 190 000 personnes à rejoindre les côtes italiennes, dont plus de 57 000 depuis le début de 2015 (4). Environ 70 % de cette immigration vient de Libye, du Nigeria, du Mali, de Gambie, du Sénégal et du Pakistan.
Une fois en territoire italien, les migrants sont libres de demander l'asile au gouvernement italien. Ceux-ci doivent cependant rester en Italie et ne pas quitter le pays jusqu'à ce que leur demande d'asile soit traitée. Si elle est acceptée, ils peuvent rester au pays indéfiniment (5).
Pour accommoder ce flux de demandeurs d'asile, Rome a pris une série de mesures pour gérer ces personnes. Des centres d'accueil aux réfugiés, gérés par l'État, offrent le gîte et le couvert en plus de fournir un téléphone cellulaire. Une somme de trois euros d'argent de poche quotidien leur est donnée par l'État qui propose aussi des formations et des cours de langues. L'Italie dispose de 75 000 places en centres d'accueil. Les hôtels, parfois quatre étoiles, accueillent le reste des migrants demandeurs d'asile si la capacité de ces centres est excédée (6). Ce dernier point fait les choux gras des groupes de pression anti-immigration ainsi que de certains partis d'opposition.
Or, ce programme coûte cher à l'État. Chaque réfugié profitant du programme de centres d'accueil coûte au trésor italien environ 35 euros par jour, soit près de 13 000 par année. En faisant le calcul, le programme a coûté près de 850 millions d'euros pour loger les 64 900 demandeurs d'asile de 2014. C'est sans compter les frais médicaux dont ceux-ci peuvent avoir besoin considérant qu'un migrant sur quatre est atteint d'hépatite C (7).
Le coût de ce programme ne risque pas de diminuer lors des prochaines années. Selon Nick Cooke-Priest, un capitaine de la frégate britannique HMS Bulwark, entre 450 000 et 500 000 Libyens attendent sur les côtes pour traverser en Italie. Ces chiffres passent à 500 000 et un million selon Frontex, l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (8). Il s'agit de l'agence européenne, créée en 2004 et opérationnelle depuis octobre 2005, qui est chargée de coordonner les opérations des gardes-frontières des pays membres de l'Union européenne.
Un retour de balancier
Si la situation des migrants était plutôt bien tolérée par la population italienne, les choses tendent à changer depuis quelque temps. En effet, la grande majorité de ces migrants n'étaient que de passage au pays et leur destination finale était souvent les pays du nord de l'Europe, Royaume-Uni, France et Allemagne en tête. Or, depuis octobre, la situation a évolué. L'Allemagne a depuis renforcé le contrôle de ses frontières et les attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris ont poussé les dirigeants français à faire de même (9).
Les gardes-frontières français inspectent chaque train, voiture ainsi que les voyageurs à pied. Si bien que les migrants de passage se retrouvent coincés en Italie et deviennent une source de tensions pour la population italienne. Des groupes néo-fascistes, dont CasaPound et Forza Nuova, font des manifestations violentes où des forces de l'ordre sont blessées. Certains vont jusqu'à ironiser sur le fait que les forces armées italiennes sont les seuls militaires du monde qui assistent une invasion étrangère (10).
Ces tensions ont poussé les dirigeants italiens à modifier leur politique sur l'immigration en prenant compte du pays d'origine des demandeurs d'asile. Ainsi, certains réfugiés, dits économiques, se font refouler à la frontière sans la possibilité de demander le droit d'asile (11).
Depuis le début de 2015, au moins 90 % des migrants arrivés par mer venant de Syrie et d'Érythrée ont reçu une forme quelconque d'asile en Italie. À l'inverse, plus de 70 % des Maliens et des Nigérians se sont vu refuser ce statut à leur première tentative.
Selon Amnistie internationale, certains de ces migrants sont directement envoyés à l'aéroport de Rome avec l'ordre de quitter le pays dans la semaine, et ce, malgré le fait qu'ils ne disposent pas de documents de voyage et qu'ils n'ont aucune possibilité de s'en procurer. L'organisme déplore également le fait que la police italienne ne semble pas porter beaucoup d'assistance à ces migrants venus d'Afrique subsaharienne.
Toutefois, certaines voix s'élèvent contre la nouvelle politique italienne concernant l'immigration et plusieurs croient que le pays bénéficierait de la contribution de ces réfugiés économiques. La population de l'Italie est en déclin. En ce moment, il y a quatre travailleurs italiens pour chaque retraité, mais ce chiffre pourrait descendre à deux travailleurs pour chaque retraité d'ici 2050 si la situation ne change pas (12). Du côté européen, c'est plus de 42 millions de travailleurs dont l'Europe aura besoin d'ici 2020 si elle veut garantir sa croissance.
Selon Jean-Christophe Dumont, de l'Organisation de coopération et de développement économiques, les migrants ne vident pas les coffres de l'État italien, mais contribueraient plutôt à les renflouer. Toujours selon lui, la contribution économique des migrants serait de l'ordre de 7 milliards d'euros annuellement. Toujours est-il qu'il faudra d'abord convaincre la population italienne de ces bienfaits économiques, alors que le pays connaît un chômage de 13 % et de près de 45 % chez les jeunes (13).
(1) LE FIGARO, «L'Allemagne s'attend à accueillir un million de migrants en 2015», en ligne le 11 octobre 2015, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/10/11/97001... consulté le 29 novembre 2015
(2) DARNIS, Jean-Pierre, «L'immigration, enjeu de politique intérieure et de politique étrangère pour l'Italie contemporaine», en ligne le 1er décembre 2012, http://italies.revues.org/3272 consulté le 21 novembre 2015
(3) VALEURS ACTUELLES, «Clandestins : quel prix pour la traversée de la Méditerranée ?», en ligne le 6 janvier 2015, http://www.valeursactuelles.com/monde/clandestin-q... consulté le 30 novembre 2015
(4) LE FIGARO, «Immigration: l'Italie menace l'Europe», en ligne le 14 juin 2015, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/06/14/97001... consulté le 20 novembre 2015
(5) THE SPECTATOR, «Welcome to Italy: this is what a real immigration crisis looks like», en ligne le 20 juin 2015, http://new.spectator.co.uk/2015/06/the-invasion-of-italy/ consulté le 29 novembre 2015
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) FRONTEX, «About Frontex», en ligne en 2015, http://frontex.europa.eu/about-frontex/origin/ consulté le 30 novembre 2015
(9) LIBÉRATION, «Le contrôle aux frontières rétabli», en ligne le 14 novembre 2015, http://www.liberation.fr/france/2015/11/14/que-sig... consulté le 30 novembre 2015
(10) NEWSWEEK, «Immigrant Surge Brings Out Italy's Dark Side», en ligne le 19 octobre 2015, http://www.newsweek.com/immigrant-surge-brings-out... consulté le 29 novembre 2015
(11) ALJAZEERA, «Italy quietly rejects asylum seekers by nationality, advocates say», en ligne le 19 octobre 2015, http://america.aljazeera.com/articles/2015/10/19/i... consulté le 29 novembre 2015
(12) NEWSWEEK, op. cit.
(13) THE SPECTATOR, op. cit.
Dernière modification: 2015-12-07 07:40:03
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