15 mars 2025

6 octobre 2015

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Tchad : justice sera-t-elle rendue aux victimes d'Hissène Habré?

Alors chef des Forces armées du Nord (FAN), Hissène Habré est un homme politique qui tenta de renverser le gouvernement tchadien au début des années 1980. Il s'empare du pouvoir le 7 juin 1982 et le conserve pendant huit années grâce à un régime dictatorial. À la suite de violences excessives et de nombreux crimes, il sera poursuivi en justice. Son procès débutera finalement le 20 juillet 2015.

Une terreur politique

Depuis des années, le Tchad est victime d'une succession de coups d'État. Habré mit la main sur la présidence en 1982 en profitant d'un conflit militaire entre ses militants et le gouvernement en place; le Gouvernement d'Union nationale et de Transition (GUNT). Dès le début, « la terreur politique », surnom donné à Habré par ses victimes, effectue des arrestations et des détentions arbitraires et use de la torture comme moyen de coercition envers le peuple tchadien et quelques groupes ethniques (1). En outre, Habré instaure sa « police politique », la Direction de la documentation et de la sécurité (DSS), qui est coupable de milliers d'enlèvements et d'assassinats politiques (2).

Cependant, nous pouvons attribuer à Habré une politique de réconciliation qu'il a engagée pour intégrer toutes les forces du pays et contrer l'instabilité politique. Une démarche qui fût qualifiée de pragmatique et qui servait à adapter l'État aux réalités tchadiennes, mais également : « [...] à ménager l'orgueil des autorités coutumières [...] (3) ».

25 années de ping-pong judiciaire

En 1990, un coup d'État chasse Habré du pouvoir. Celui-ci s'enfuit au Sénégal où il trouve refuge. La Commission tchadienne d'enquête dépose un rapport en 1992 qui révèle que Hissène Habré est responsable de la mort de 40 000 personnes, imputées à la politique du régime, et de près de 200 000 victimes de torture et de violence (4). Pendant vingt ans, il y a des procédures judiciaires afin d'arrêter Habré et de nombreuses plaintes sont déposées par les victimes tchadiennes. En 2000, le juge Demba Kandji inculpe l'ex-président pour complicité de tortures, actes de barbarie et crimes contre l'humanité (5).

Il y a alors commencement d'un premier procès jugé par la juridiction d'un autre État, soit le Sénégal. De ce fait, le Conseil supérieur de la magistrature retire l'affaire Habré au juge Kandji puisque la Cour d'appel de Dakar : « déclare que les tribunaux sénégalais sont incompétents car les crimes auraient été commis en dehors du territoire national (6)». La Cour de cassation proclame alors que Habré ne peut être jugé au Sénégal.

Des archives de l'ex-police politique de Habré sont découvertes dans d'anciens locaux en 2001, et font l'objet d'un examen sur une durée de 4 ans (7). Pendant ce temps, l'ex-dictateur est tout de même détenu au Sénégal jusqu'en septembre 2005. Un juge belge délivre alors un mandat d'arrêt international contre lui pour ses crimes et actes de torture. Les autorités procèdent à son arrestation le 15 novembre de la même année, mais dix jours plus tard la Cour d'appel de Dakar statue qu'elle se trouve incompétente pour juger cette affaire ou pour statuer sur la demande d'extradition de la Belgique, pays apte à se prononcer sur ce genre de cas. Ainsi, Habré est remis en liberté.

Néanmoins, au début de l'année 2006, le Comité des Nations unies déclare que le Sénégal viole la Convention et doit juger ou extrader Habré. Pris de court, le président du Sénégal accepte que l'ex-président Habré puisse finalement être jugé au pays. Malgré cela, entre 2008 et 2015, le Sénégal refuse de progresser dans le dossier. Il réclame des fonds pour poursuivre le procès et des négociations prennent place entre le Sénégal et les Unions européenne et africaine. De son côté, la Belgique demande à la Cour internationale de justice d'intervenir. Après plusieurs commissions rogatoires internationales au Tchad, un réel procès, 25 ans plus tard, s'ouvre enfin devant les Chambres africaines extraordinaires au Sénégal.

Une machine à broyer les Tchadiens

Hissène Habré était le cerveau, l'organisateur en chef et l'animateur de ses crimes. Les détenus, proies facilement accessibles, avaient les bras et les jambes attachées dans leurs dos, ce qui causait une paralysie des membres ou entraînait de graves difformités. Dans un même ordre d'idées, une femme enceinte aurait subi une semaine de torture à l'électricité (8). Les victimes étaient tuées pour des opinions divergentes de celles de Habré, pour des complicités inventées avec des rebelles, voire même sans raisons précises. Habré effectuait des emprisonnements arbitraires, des viols, des massacres, des homicides volontaires, des enlèvements de personnes suivis de disparitions puis de torture, des traitements inhumains, des transferts illégaux et détentions illégales. En bref, des atteintes aux droits de l'Homme; à la vie et l'intégrité physique (9).

En ce qui a trait à la condamnation de l'ex-dictateur, plusieurs analystes donnent un aperçu des possibles sanctions s'il est reconnu coupable. Tout d'abord, le porte-parole des victimes de Habré, Clément Abaïfouta, exige une sentence pour que justice soit rendue après toutes ces années de vie volées (10). De leur côté, les Chambres africaines extraordinaires peuvent condamner Habré à une peine à perpétuité. Ce dernier pourrait également écoper d'une amende ou se voir confisquer toute propriété ou biens qui seraient, d'une manière ou d'une autre, liés à ses crimes (11). Ensuite, Assane Dioma N'diaye, le président de la Ligue sénégalaise des Droits humains (LSDH) et ex-président de l'Observatoire national du Développement humain (ONDH), assure de manière évidente que Habré risque tout sauf une peine de mort puisque : « la justice pénale internationale n'accepte pas la peine de mort, et le Sénégal qui abrite ce procès, [l'] a aboli[e] [...] depuis longtemps (12)».

Enfin, le procureur des Chambres africaines extraordinaires, Mbacké Fall, a fait savoir lors d'un débat public que Habré risque 30 ans de prison ou des travaux forcés à perpétuité. Il a également mentionné qu'aucune mesure d'assouplissement de la peine, aucune grâce ni amnistie ne pourra être considérée. Habré aura uniquement le droit de choisir dans quel pays membre de l'Union africaine il poursuivra sa peine (13).




Références:

(1) BENSIMON, Cyril, « Hissène Habré, la terreur politique en procès », Le Monde, 17 juillet 2015, http://www.lemonde.fr/international/article/2015/0... (Page consultée le 3 septembre 2015)

(2) AGENCE FRANCE-PRESSE, « Procès Habré: la police politique totalement aux ordres, selon un de ses anciens chefs », Justice Info, 23 septembre 2015, http://www.justiceinfo.net/fr/en-continu/2139-.html, (Page consultée le 4 septembre 2015)

(3) BELGOURCH, Abderrahman et VERNOCHET Jean-Michel, « Afrique [compte rendu] », Persée, 1987, http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1987_num_... (Page consultée le 3 septembre 2015)

(4) AGENCE FRANCE-PRESSE, « [Infographie] Comprendre l'affaire Hissène Habré », FIDH, https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-... (Page consultée le 3 septembre 2015)

(5) FIDH, « Chronologie de l'affaire Hissène Habré », 16 juillet 2015, https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-... (Page consultée le 3 septembre 2015)

(6) Loc. cit.

(7) Loc. cit.

(8) BENSIMON, Cyril, op. cit.

(9) HUMAN RIGHTS WATCH, « Questions et réponses sur l'affaire Hissène Habré devant les Chambres africaines extraordinaires au Sénégal », 31 août 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/08/31/questions-e... (Page consultée le 4 septembre 2015)

(10) LUSSATO, Céline, « Le procès d'Hissène Habré, "c'est le but ultime de 25 années d'attente », L'OBS Monde, 20 juillet 2015, http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150717.OBS2... (Page consultée le 4 septembre 2015)

(11) HUMAN RIGHTS WATCH, op. cit.

(12) DAKAR ACTU, « ASSANE DIOMA N'DIAYE : « Habré ne risque pas la peine de mort - Le procès sera au dessus de tout soupçon de violation des droits de la défense », 19 juillet 2015 , http://www.dakaractu.com/ASSANE-DIOMA-N-DIAYE-Habr... (Page consultée le 4 septembre 2015)

(13) KANE, Dieynaba, « Mbacké Fall sur la peine encourue par l'ex-Président tchadien : "Habré risque 30 ans ou la perpétuité" », Le Quotidien, 16 juillet 2015, http://www.lequotidien.sn/index.php/component/k2/m... (Page consultée le 3 septembre 2015)

Autres références

CARAYOL, Rémi, « Hissène Habré face à ses crimes », Jeune Afrique, 22 septembre 2015, http://www.jeuneafrique.com/mag/245669/politique/h... (Page consultée le 4 septembre 2015)

MOUBITANG, E., « L'affaire Hissène Habré, un tournant dans l'histoire de la justice africaine », Sentinelle droit international, 5 septembre 2015, http://www.sentinelle-droit-international.fr/?q=co... (Page consultée le 4 septembre 2015)

SERGENT, François, « Justice transitionnelle : Tchad, Ukraine et diamants de sang », Justice Info, 13 septembre 2015, http://www.justiceinfo.net/fr/analyses/2030-justic... (Page consultée le 3 septembre 2015)

Dernière modification: 2015-10-12 08:03:25

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