2 avril 2025

30 novembre 2021

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Hizbut Tahrir en Malaisie : la non-violence pour endoctriner?

Au cours de la dernière décennie, certains groupes islamistes radicaux ont acquis une place plus importante en Asie du Sud-Est, notamment en Malaisie. Ce pays est composé à 60 % de musulmans sunnites. L’autre 40 % de la population est formé de chrétiens, d’hindouistes de bouddhistes (1). Adoptée en 1957, la Constitution permet la liberté de religion (2). Cet État a réussi à trouver une forme d’équilibre entre sa société majoritairement musulmane sunnite et la loi civile (3). Toutefois, les inquiétudes se multiplient face à la montée de l’islamisme radical, autant au pays que sur la scène internationale.

Au sein de la cellule malaisienne du groupe radical Hizbut Tahrir (HTM), les dirigeants prônent la non-violence, contrairement aux groupes comme l’État islamique (EI) ou Al-Qaïda (AQ) (4). Pour comprendre la montée de l’islamisme radical en Malaisie, il est intéressant d’explorer ce groupe, son historique et ses idéologies. Ensuite, il est utile de se pencher sur la définition de non-violence de ce groupe considérant qu’il y a plusieurs formes de violence. Enfin, il y a lieu d’analyser certains choix du gouvernement qui pourraient avoir contribué à la montée de l’extrémisme dans son propre pays.

HTM : cellule d’un mouvement transnational aux idées radicales

Les différents mouvements musulmans à travers le monde sont souvent transnationaux. Il est ainsi possible d’observer la formation d’un mouvement principal qui se décline ensuite en « branches » à travers le monde. C’est le cas pour l’organisation internationale Hizbut Tahrir (HT), qui compte des adeptes dans 45 pays et s’étend sur cinq continents (5). C’est Taqiduddin An-Nabhani qui a fondé HT en 1953 en formulant une nouvelle approche se voulant politique, mais incluant de l’éducation traditionnelle islamique dans l’objectif de former un nouveau Califat qui appliquerait la loi de la charia (6). Selon le professeur Sami Aoun, la charia, « c’est l’application de la loi en Islam, mais ce n’est pas un texte codifié comme le droit romain. C’est un ensemble de principes et d’applications qui découle de la sunna, c’est-à-dire les gestes et les paroles du prophète Mahomet, ainsi que du Coran (7). » HTM est donc le chapitre malaisien du groupe qui s’est formé dans les années 1990, à la suite du recrutement d’étudiants, mais c’est au début des années 2000 qu’il est devenu plus organisé, alors que les têtes dirigeantes ont envoyé du renfort aux jeunes militants (8).

HTM rejette les fondements de la démocratie et du capitalisme, des systèmes que le groupe considère comme les principales raisons des échecs gouvernementaux en Malaisie. Il estime que la seule façon de remettre le pays sur pied est d’adhérer à un Califat islamique pour former une seule et grande communauté musulmane au-delà des frontières, tout en appliquant la loi de la charia. L’organisation soutient que la souveraineté réside dans les écrits du Coran et qu’il ne revient pas aux hommes de choisir la façon de régner, mais bien à Dieu. Finalement, elle estime être une formation qui doit s’imposer par la voie politique et non par militantisme violent, ce qui en fait l’unicité (9).

Islamistes radicaux non violents : est-ce vraiment possible?

Ce qui distingue particulièrement HT, et par le fait même HTM, des autres formations islamiques radicales telles que Al-Qaïda ou l’État islamique, c’est le refus des dirigeants d’avoir recours à la violence. Il s’agit là d’une distinction majeure et peut-être une raison pour laquelle les autorités internationales y portent moins attention (10). L’organisation rejette fermement les violences que certaines formations radicales commettent. Elle les considère comme « illégitimes (11) » et soutient que le terrorisme ne fait que nuire à leur quête d’un Califat.

Néanmoins, il faut savoir que HTM considère que les attaques jihadistes peuvent être justifiées lorsqu’il s’agit d’un moyen de défense. Par exemple, en 2019, le groupe avait appelé ses troupes malaisiennes à se préparer à attaquer pour défendre les musulmans ouïghours contre le gouvernement chinois. L’interprétation de non-violence devient alors ambiguë (12).

Aussi, la violence n’est pas toujours physique. Elle peut également prendre une forme psychologique dommageable pour les victimes. Dans une étude menée par le Yusof Ishak Institute parue en 2021, il est démontré que les minorités religieuses sont victimes d’intimidation verbale dans la rue et sur les réseaux sociaux en Malaisie. Même les musulmans chiites subissent ce traitement de la part des musulmans sunnites. L’étude démontre que les groupes tels que HTM, qui se prétendent non-violents, ne considèrent que l’aspect physique de la violence et usent tout de même de tactiques nuisibles à plusieurs groupes (13).

L’État responsable de son propre malheur?

Il est difficile de s’expliquer la montée de l’islamisme radical en Malaisie étant donné la nature multiethnique du pays où plusieurs religions se côtoient depuis longtemps (14). Toutefois, certaines pistes permettent de mieux comprendre. D’abord, de 1957 à 2018, c’est l’Organisation nationale unifiée malaise (UMNO) qui était au pouvoir en coalition, et qui accordait de plus en plus de latitude aux radicaux. À l’intérieur de ce groupe existe l’Association des lettrés malaisiens (ILMU) qui, elle, appelle au rejet du droit criminel au profit de la charia. Cette dernière a réussi à faire passer des lois discriminatoires au Parlement, entre autres, contre les droits des chiites (15). Malgré une défaite en 2018, la coalition est revenue au pouvoir rapidement. Il devient alors difficile pour la population d’espérer des changements (16).

Les radicaux profitent également du système d’éducation public qui est en perte de vitesse pour inciter les gens à envoyer leurs enfants dans des écoles davantage conservatrices. En effet, entre 2011 et 2017, le gouvernement a permis la construction de 900 nouvelles écoles privées islamiques (17). Cela aide à la prolifération des idées radicales. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’endoctrinement est beaucoup plus efficace, car il se fait en bas âge.

Enfin, le laxisme des politiques d’immigration semble être un facteur important, car les terroristes membres de groupes plus extrémistes que ceux déjà installés en Malaisie voient le pays comme un endroit de transition ou les confrontations avec les autorités pourront être évitées. En effet, Normah Ishak, l’assistante directrice dans la division antiterroriste malaisienne, soutient que « les terroristes de l’Asie de l’Ouest et de certains pays d’Europe s’installent temporairement en Malaisie à cause des politiques d’immigration qui permettent d’accepter des visiteurs de la majorité des organisations islamiques internationales à l’aide de visas (18) ».

Pour l’instant, les groupes islamistes radicaux en Malaisie utilisent des tactiques non violentes physiquement, ce qui est plutôt rare pour ce type d’organisation. Cependant, avec l’instabilité politique, dont trois premiers ministres en 3 ans, et la crise de la COVID-19 qui ne s’essouffle pas, le pays ne peut se permettre de baisser la garde (19). Finalement, selon Joshua Kurlantzick, expert en démocratie et en droits humains au Council of Foreign Relations, il pourrait être judicieux pour le gouvernement de s’allier aux États voisins tels que l’Indonésie et les Philippines, considérant la nature transnationale des groupes radicaux (20).




Références: :

(1) Ici Tou.tv, « Malaisie, un paradis menacé par l’islam radical », 2018, URL https://ici.tou.tv/malaisie-un-paradis-menace-par-... (consulté le 29 novembre 2021)

(2) Global Edge, « Malaysia : Governement », URL https://globaledge.msu.edu/countries/malaysia/government, (consulté le 29 novembre 2021)

(3) Council on Foreign Relations, « The Rise of Islamist Groups in Malaysia and Indonesia », 27 février 2018, URL https://www.cfr.org/expert-brief/rise-islamist-gro... (consulté le 29 novembre 2021)

(4) MEI, « Hizbut Tahrir in Malaysia : A Threat to Ntional Secrutiy? », 29 juin 2021, URL https://www.mei.edu/publications/hizbut-tahrir-mal... (consulté le 29 novembre 2021)

(5) Al jamiah, « Hizbut Tahrir Malaysia : the Émergence of a New Transnational Islamist Movement in Malaysia », 2009, URL https://aljamiah.or.id/index.php/AJIS/article/view/93/115, (consulté le 29 novembre 2021)

(6) Loc. cit.

(7) 24 heures, « Les talibans au pouvoir en Afghanistan : qu’est-ce que la charia? », 23 août 2021, URL https://www.24heures.ca/2021/08/23/les-talibans-au... (consulté le 29 november 2021)

(8) Al jamiah, op.cit.

(9) MEI, op.cit.

(10) START’ « Hizb ut-Tahrir al-Islami : The Challenge of a Non-Violent Radical Islam, 2009, URL https://www.start.umd.edu/research-projects/hizb-u... (consulté le 29 novembre 2021)

(11) MEI, op.cit.

(12) loc.cit.

(13) ISEAS Perspective, « Rethinking Extremism Beyond Physical Violence : Anti-Shia Hostility in Malaysia », 16 juin 2021, URL https://www.iseas.edu.sg/wp-content/uploads/2021/0... (consulté le 29 novembre 2021)

(14) Slate, « Pourquoi le djihadisme ne perce pas en Malaisie (ou si peu), 9 septembre 2017, URL http://www.slate.fr/story/150849/djihadisme-perce-malaisie, (consulté le 29 novembre 2021)

(15) Asia Centre, « Les groupes islamistes radicaux en Asie du Sud-Est – Panoramas institutionnels, réseaux d’affiliations et références idéologiques », 4 janvier 2019, URL https://centreasia.eu/les-groupes-islamistes-radic... (consulté le 29 novembre 2021)

(16) The Guardian, « Ismail Sabri Yaakob appointed as Malysian prime minister », 20 aout 2021, URL https://www.theguardian.com/world/2021/aug/20/isma... (consulté le 29 novembre 2021)

(17) loc.cit.

(18) Malaysia Now, « Bukit Aman’s top anti-terror officer tells why terrorists see Malaysia as safe transit point », 29 septembre 2021, URL https://www.malaysianow.com/news/2021/09/29/bukit-... (consulté le 29 novembre 2021)

(19) CNBC, « Malaysia gets a new prime minister-the country’s third in 3 years », 20 aout 2021, URL https://www.cnbc.com/2021/08/20/malaysia-king-appo... (consulté le 29 novembre 2021)

East Asia Forum, « Countering terrorism on Malaysias borders, 10 juillet 2021, URL https://www.eastasiaforum.org/2021/07/10/counterin... (consulté le 29 novembre 2021)

(20) Council of Foreign Relations, op.cit.

Dernière modification: 2021-12-07 07:54:44

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