Les changements climatiques représentent sans contredit un défi imposant pour l’espèce humaine. Cependant, ce défi a des conséquences variant en intensité sur les différentes populations du monde, qui sont plus ou moins vulnérables. Tel que mentionné dans le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de 2018, le Vietnam est un des pays les plus à risque pour des impacts importants liés au réchauffement (1). Par exemple, une des conséquences qu’il pourrait subir est la diminution du revenu national, qui baisserait d’environ 3,5 % d’ici 2050 selon certaines estimations (2).
À la merci du réchauffement climatique
Plusieurs facteurs expliquent la relative sensibilité du Vietnam aux changements climatiques, qui l’affectent plus qu’ils n’affectent d’autres pays. En effet, même dans un monde sans dérèglement du climat, le Vietnam serait un pays en proie à des désastres naturels fréquents, en raison de sa géographie particulière. Son littoral de plusieurs milliers de kilomètres, sa position géographique et sa topographie diversifiée en font un territoire fréquemment touché par des typhons et des tempêtes tropicales (3). Les risques d’inondations sont également très élevés partout au pays, qui est considéré comme l’endroit le plus risqué au monde avec le Bangladesh pour ce type de désastre (4).
De plus, l’augmentation du niveau de la mer causée par la fonte des glaciers représente une menace d’importance pour le territoire vietnamien. Le pays compte plusieurs zones à basse altitude, dont une grande partie se retrouvent en zone côtière ou autour de deltas, ce qui le rend davantage vulnérable à un niveau de l’eau plus élevé (5).
Des dangers pour le territoire…
Les vulnérabilités mentionnées plus haut sont une porte d’entrée pour les impacts du réchauffement climatique. Elles rendent plus fréquentes et plus destructrices les catastrophes naturelles qui ont toujours existé au Vietnam : typhons, tempêtes tropicales, inondations… (6).
De plus, l’augmentation du niveau de la mer menace de rendre de grands morceaux du territoire vietnamien inhabitables. Dans les 50 dernières années, le niveau de l’eau a déjà progressé de plus de 20 centimètres. Selon des estimations, un mètre d’augmentation amènerait sous l’eau 10 % des terres du delta de la rivière Rouge et 39 % de celles du delta de la rivière Mékong. Or, ces deux régions sont très densément peuplées, avec respectivement 930 et 423 personnes par km carré. Cette augmentation du niveau de l’eau causerait aussi une importante érosion des côtes (7).
D’un autre côté, les températures moyennes au Vietnam ont, elles aussi, évolué depuis les dernières décennies. Plus précisément, la température moyenne a augmenté de 0,5 oC en 50 ans, tendance qui ne semble pas près de s’inverser. Cela pourrait causer la dégradation de plusieurs écosystèmes présents dans le pays, de même que des pertes de biodiversité. Les vagues de chaleur pourraient également devenir plus fréquentes, causant des sécheresses et, conséquemment, de la désertification (8).
…et pour les gens
Les impacts dont il est discuté plus haut entraînent également des conséquences importantes sur la population vietnamienne. L’augmentation du niveau de la mer d’un mètre inonderait les habitations d’environ 14,2 millions de personnes et en forcerait 7 millions à se déplacer. De plus, elle pourrait submerger la moitié des terres arables du détroit de la rivière Mékong, d’une importance cruciale pour la culture de riz. Rendues plus fréquentes par le réchauffement de la planète, les catastrophes naturelles dont il a déjà été question ont comme impact majeur de causer elles aussi d’importants déplacements de population (9).
Ces mêmes désastres causent aussi d’énormes dégâts matériels, dont les coûts sont, plus souvent qu’autrement, assumés par la population touchée. Les Vietnamien.ne.s doivent reconstruire leurs habitations avec les moyens auxquels iels ont accès, ce qui ne leur permet généralement pas de reconstruire un bâtiment qui survivra à la prochaine tempête d’envergure. Les coûts liés à ce type de catastrophe ont largement augmenté au cours des dernières années (10), alors que les coûts associés au réchauffement climatique en général au Vietnam pourraient dépasser 523 millions $ US d’ici 2050 (11).
Une grande partie de la population vietnamienne dépend des activités d’agriculture. En effet, 37 % des emplois nationaux en 2019 étaient dans ce domaine (12), alors que 12,56 % du produit intérieur brut y était attribuable en 2021 (13). En affectant la pratique de ce secteur, les changements climatiques font monter le coût du riz et diminuer la production des agriculteurs. Ces derniers ont donc un besoin en employés moins grand, ce qui crée du chômage et fait diminuer le revenu moyen.
Tous ces éléments ont le potentiel de causer encore plus de migration interne au sein du Vietnam (14), ce qui semble confirmé par des données empiriques. Effectivement, il est estimé qu’environ 24 000 personnes quittent chaque année la région du détroit de Mékong en raison des changements climatiques. Ce chiffre pourrait même être sous-évalué, puisqu’il provient d’une étude qui identifie la pauvreté comme raison la plus fréquente pour quitter la région (15). Or, les personnes en situation de pauvreté sont touchées disproportionnellement par les effets du réchauffement climatique (16), qui pourrait donc avoir aussi influencé leur décision.
Une gouvernance réactive
Le gouvernement tente d’aborder la crise du réchauffement climatique depuis plusieurs années, à l’aide de différentes politiques publiques. En 2010, il met en place une stratégie nationale pour le réchauffement climatique, qui met de l’avant des objectifs comme la croissance verte ou la sécurité alimentaire pour les années à venir (17). Cette stratégie a été mise à jour en 2022, avec le but de s’adapter de manière efficace et proactive au réchauffement, en plus de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) à 0 pour 2050 (18). En 2013, la Loi sur la prévention et le contrôle des désastres naturels met en place des mesures de réduction des risques, des adaptations aux changements climatiques et des mesures de mitigation sur le plan national, local et communautaire (19).
Également, un marché du carbone a récemment été établi, permettant aux acteurs économiques qui polluent moins de « vendre » leur droit de polluer non utilisé à d’autres acteurs qui polluent plus. La loi établissant cette mesure met aussi sur pied la surveillance des émissions de GES et la tenue d’un inventaire les concernant (20).
Certains voient cependant ces efforts comme insuffisants et réclament des mesures d’une plus grande envergure. Par exemple, la création d’un ministère de la Migration est mise de l’avant, qui permettrait de gérer et coordonner la grande quantité de déplacements internes dont le Vietnam est témoin (21). D’autres soutiennent plutôt l’investissement dans des infrastructures plus résilientes aux typhons et aux tempêtes tropicales, ce qui permettrait de ne pas être autant affectés par ces désastres (22).
En bref, les mesures établies par le gouvernement vietnamien semblent avancer ses objectifs, tout en laissant certains sur l’amère impression de ne pas être suffisantes. L’exemple de la consommation de charbon du Vietnam illustre bien cette situation. Le pays a été reconnu comme l’État de la région du Pacifique asiatique qui adoptait le plus rapidement l’énergie éolienne et solaire en 2020 (23). Cependant, le Vietnam est toujours dépendant du charbon pour sa consommation d’énergie et il était le 6e pays asiatique pour l’utilisation de ce combustible en 2021 (24).
MÉDIAGRAPHIE
(1) TATARSKI, Michel, « New climate change report highlights grave dangers for Vietnam ». Mongabay, 30 octobre 2018, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(2) Asian Development Bank, « Climate Risk Country Profile – Vietnam », ReliefWeb, 24 novembre 2020, consulté le 20 novembre 2022, URL [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(3) loc. cit.
(4) Climate Change Knowledge Portal, « Vietnam », Banque mondiale, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(5) Asian Development Bank, op. cit.
(6) NGUYEN, Dang Anh Thi, « Vietnam should walk the talk in climate actions », VN Express international, 29 septembre 2021, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(7) NGUYEN AHN, Dang, et. al., « Assessin the evidence : migration, environment and climate change in Vietnam », International Organization for Migration, 2016, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(8) loc. cit.
(9) loc. cit.
(10) TAKAGI, Hiroshi, « Statistics on typhoon landfalls in Vietnam: Can recent increases in economic damage be attributed to storm trends? », Urban Climate, volume 30, décembre 2019, 10.1016/j.uclim.2019.100506, consulté le 20 novembre 2022
(11) BORTON, James, « Vietnam’s multi-pronged battle against climate change », AsiaTimes, 29 août 2022, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(12) Statista, « Employment in agriculture (% of total employment) (modeled ILO estimate) – Vietnam », [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022/SL.AGR.EMPL.ZS?locations=VN
(13) NGUYEN, Minh-Ngoc, « GDP contribution of the agriculture, forestry and fishing sector in Vietnam from 2011 to 2021 », Statista, 14 octobre 2022, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(14) Vision of Humanity, « Vietnam Climate Change Impacts Rice Production and Migration », [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(15) CHAPMAN, Alex et PHAM DANG TRI, Van « Climate change is triggering a migrant crisis in Vietnam », The Conversation, 9 janvier 2018, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(16) ISLAM, S. Nazrul et WINKEL, John, « Climate Change and Social Inequity », UN Department of Economic & Social Affairs, octobre 2017, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(17) Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment, «The National Climate Change Strategy approved by Decision no 2139/QD-TTg », [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(18) Vietnam News Agency, « National Strategy on Climate Change for 2050 approved », Vietnam+, 6 août 2022, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(19) Gouvernement du Vietnam, « Viet nam : Law on natural disaster prevention and control », PreventionWeb, 2013, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(20) THANG NAM DO, Anu, «Vietnam pioneers post-pandemic carbon pricing », East Asia Forum, 19 novembre 2020, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(21) NGUYEN AHN, et. al., op. cit.
(22) Banque Mondiale, « Vietnam Country Climate and Development Report », ReliefWeb, 1er juillet 2022, [hyperlien] consulté le 20 novembre 2022
(23) BORTON, op. cit.
(24) NGUYEN, Dang Anh Thi, op. cit.
Dernière modification: 2022-11-28 11:58:56
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