Le 21 septembre 2023 restera pour les peuples autochtones du Brésil une journée victorieuse. En effet, une majorité de juges de la Cour suprême brésilienne ont tranché en leur faveur face au lobby agro-industriel. Qualifiée de « procès du siècle », cette lutte porte sur le droit d’occupation et d’usage des terres ancestrales.
Un combat historique
Le Brésil prévoit plus de 700 réserves délimitées pour les peuples autochtones ; néanmoins, elles ne sont pas toutes effectivement homologuées et protégées. Alors que ces territoires étaient autrefois isolés au fond de la forêt, la déforestation les a progressivement rapprochés de la civilisation. Désormais, ces terres sont, à proprement parler, « dans le chemin » des grands exploitants terriens, qui veulent généralement exploiter le territoire afin d’y élever du bétail (1).
Faisant appel à la Cour suprême pour rendre effectif et légal le droit à leurs terres ancestrales, les Autochtones du Brésil se sont heurtés à la thèse du « cadre temporel » du camp adverse. Selon cette thèse, soutenue par le lobby agro-industriel, le droit à ces terres ancestrales est illégitime puisqu’elles n’étaient pas effectivement peuplées par les Autochtones au moment de la promulgation de la Constitution brésilienne, en 1988 (2).
Cependant, le contexte historique met en lumière l’injustice des décennies ayant précédé la promulgation de la Constitution. En effet, de 1964 à 1985, le Brésil fut dirigé par une dictature militaire brutale, qui tua plus de 8 000 Autochtones dans des massacres, en plus de se livrer à des déplacements forcés hors de leurs terres (3).
Une question polarisante
Dans sa décision du 21 septembre, une majorité de la magistrature suprême brésilienne a rejeté la thèse du « cadre temporel », pavant dès lors la voie à une homologation progressive des terres au bénéfice des peuples autochtones.
Cette décision est historique puisque, sous les mandats des présidents de droite Michel Temer (2016-2018) et Jair Bolsonaro (2019-2022), les Autochtones avaient vu leur protection de la part du gouvernement diminuer significativement. En effet, le gouvernement de Michel Temer avait coupé de moitié le budget de l’organisme gouvernemental chargé de leur protection, la Fondation nationale de l’Indien (Funai) (4).
Puis, sous Bolsonaro, l’organisme fut dépouillé de son pouvoir protecteur, au bénéfice du puissant lobby agro-industriel. Le président décrivait alors la Funai comme un « nid de rats », vu comme un obstacle « préhistorique » aux « merveilles de la modernité » et maintenant les Autochtones dans un statut isolé tels des « hommes des cavernes (5) ». Sous son mandat, aucune nouvelle réserve n’avait été homologuée, alors qu’il avait promis de ne « pas céder un centimètre de plus (6) ».
La lutte entre Autochtones et agro-industrie est à l’image de la fracture politique du pays. À la suite d’une campagne électorale hautement polarisée, l’élection présidentielle de 2022 a été marquée par la victoire serrée de l’ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva face à Bolsonaro. Dès son entrée en fonction le 1er janvier 2023, Lula a rétabli l’autorité de la Funai, la renommant d’ailleurs « Fondation nationale des peuples autochtones ». Il la place sous l’autorité d’un tout nouveau ministère des Peuples autochtones, lui-même sous l’autorité de la première femme autochtone ministre de l’histoire du Brésil, Sonia Guajajara (7).
Enfin, l’administration de Lula a également réussi, dans ses six premiers mois au pouvoir, à faire baisser d’un tiers la déforestation (8). Le rejet de la thèse du cadre temporel par la Cour suprême aidera à cette lutte. En effet, les réserves autochtones sont des bastions de biodiversité et de territoires légalement protégés dans une Amazonie menacée. Le Brésil compte 1,7 million d’Autochtones, soit 0,83 % de la population (9). Néanmoins, ceux-ci occupent 13 % du territoire (10) et ont donc un rapport de force non négligeable pour lutter contre la déforestation de l’Amazonie.
(1) Vox, « Brazil's indigenous land is being invaded », 25 novembre 2019, URL https://www.youtube.com/watch?v=oGjRNbXeRXI, consulté le 03/10/2023.
(2) Agence France-Presse, « Brésil : majorité favorable aux Autochtones lors du procès sur le droit à la terre », Radio-Canada, 21 septembre 2023, URL https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/20... consulté le 03/10/2023
(3) Vox, op.cit.
(4) Radio-Canada, « 10 Autochtones auraient été massacrés au Brésil », 18 septembre 2017, URL https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1056503/ameri... consulté le 04/10/2023
(5) Dom Philipps, « Bolsonaro pick for Funai agency horrifies indigenous leaders», The Guardian, 21 juillet 2019, URL https://www.theguardian.com/world/2019/jul/21/bols... consulté le 04/10/2023
(6) Libération, « Au Brésil, les indigènes remportent le procès du siècle pour préserver leurs terres de l’agrobusiness », 22 septembre 2023, URL https://www.liberation.fr/environnement/biodiversi... consulté le 04/10/2023
(7) Fabiano Maisonnave, « Brazil will have first Indigenous woman chief for key post », Associated Press, 30 décembre 2022, URL https://apnews.com/article/technology-politics-bra... consulté le 04/10/2023
(8) France 24, « Brésil : le président Lula annonce un nouveau plan contre la déforestation de l'Amazonie », 6 juin 2023, URL https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/2023060... consulté le 04/10/2023
(9) Libération, op.cit.
(10) Vox, op.cit.
Dernière modification: 2023-10-10 15:09:40
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