Les électeurs européens se sont rendus aux urnes du 6 au 9 juin 2024 pour élire les 720 députés qui formeront la dixième législature du Parlement européen. En Pologne, c’est le 9 juin que quelque 32 millions d’électeurs étaient invités à voter pour désigner leurs 53 eurodéputés [1]. Malgré l’avance dans les sondages de la coalition nationaliste Droite unie (ZP) de Jaroslaw Kaczynski, c’est la Coalition civique (KO) du premier ministre libéral et pro-européen Donald Tusk qui arrive première avec 37,06 % des voix, juste au-dessus de ZP qui a obtenu 36,16 % [2].
Continuité ou rupture ?
Terminant en tête, la Coalition civique obtient 21 sièges à Strasbourg dans les rangs du Groupe du Parti populaire européen qui forme la majorité. Juste derrière, ZP occupe 20 sièges au sein du groupe Conservateurs et Réformistes européens, permettant à celui-ci de rester en troisième place au Parlement européen [3].
Malgré les tendances qui prévoyaient une domination de la droite et de l’euroscepticisme lors de ces élections, la KO a remporté la course. Cela met fin à une période de 10 ans durant laquelle le parti Droit et justice, la formation prédominante de ZP, obtenait systématiquement le plus grand nombre de votes lors des élections, tous paliers confondus [4]. Lors des élections législatives polonaises de 2023, Tusk est devenu le chef du gouvernement grâce à une coalition, puisque ZP, arrivée première, a obtenu 4,68 % plus de voix [5].
Cela dit, les résultats des élections européennes ne brossent pas le portrait d’un réel balayage des partis eurosceptiques et de droite. En plus de la mince supériorité de la KO, la coalition d’extrême droite Confédération est arrivée troisième avec 12 % des voix, augmentant la représentation globale de la droite. Les deux partis partenaires à Tusk, soit le parti de centre droit Troisième voie et la Gauche, ont obtenu au total à peine plus de 13 %, arrivant respectivement en quatrième et cinquième position. En bref, le journal Notes from Poland résume les résultats comme une rare victoire pour le centre, un semblant de défaite pour la droite et une stagnation de la gauche [6].
La sécurité au cœur des élections
La campagne s’est concentrée sur des thèmes de nature sécuritaire, alors que la Pologne est aux prises avec une crise migratoire à sa frontière avec la Biélorussie et qu’elle subit certaines retombées de l’invasion russe en Ukraine [7]. D’ailleurs, ZP et la KO ont montré leurs divergences idéologiques sur ce dernier point avec le débat sur l’Union européenne (UE) en trame de fond. Tusk affirme que la sécurité de la Pologne passe par le renforcement de l’UE et que ZP côtoie des partis européens favorables au Kremlin; alors que Kaczynski soutient un discours plus eurosceptique et isolationniste [8]. La KO a donc adopté un discours affirmant que les politiques anti-européennes de ZP rendraient la Pologne vulnérable aux menaces extérieures, comme l’illustre cette citation de Tusk : « We are all focused every day on making Poland strong, making Europe strong, […] because this is the only way to avoid the drama of war here on our lands [9]. »
Considérant que Tusk a fait campagne en privilégiant les enjeux sécuritaires et en critiquant le « pacte vert » pour rallier les agriculteurs, il est possible de croire que la KO s’est légèrement déplacée vers la droite. Cela pourrait s’expliquer par le contexte politique national et européen, alors qu’une tendance vers la droite se dessine [10]. Selon certains politologues, il a été à l’avantage de Tusk que la campagne se déroule dans un contexte où les enjeux sécuritaires sont mis de l’avant. En fait, « en temps de crises internationales, les électeurs ont tendance à se rallier à un dirigeant (traduction libre)[11] ».
Difficile de dire si ces élections représentent un réel réalignement qui relègue ZP au second plan, ou si elles sont plutôt de l’ordre de l’exception. L’élection présidentielle qui aura lieu en 2025 sera donc à surveiller, car elle permettra de déterminer s’il y a un réel changement dans le système partisan. De plus, l’élection sera déterminante pour Tusk qui doit actuellement diriger en cohabitant avec le président Andrzej Duda, affilié à ZP [12].
[1] Froloff, Aurélia, « Élections européennes 2024, quels résultats en Pologne? », Toute l’Europe, 18 juin 2024, URL https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etat... consulté le 9 septembre 2024.
[2] Le Monde, « Élections européennes 2024 : les résultats en Pologne », 9 juin 2024, URL https://www.lemonde.fr/elections-europeennes/artic... consulté le 9 septembre 2024.
Parlement européen, « Élections européennes 2024 : Résultats nationaux – Pologne », 16 juillet 2024, URL https://results.elections.europa.eu/fr/resultats-n... consulté le 9 septembre 2024.
[3] Viatteau, Magda, « Européennes 2024 : en Pologne, victoire des partis pro-européens et percée de l’extrême droite », La Croix, 10 juin 2024, URL https://www.la-croix.com/international/europeennes... consulté le 9 septembre 2024.
Krzysztoszek, Aleksandra, « Le PiS polonais reste dans le groupe parlementaire de Giorgia Meloni et tourne le dos à Viktor Orbán », Euroactiv, 5 juillet 2024, URL https://www.euractiv.fr/section/elections/news/le-... consulté le 9 septembre 2024.
[4] Viatteau, Magda, op. cit.
Tilles, Daniel, « Six conclusions from Poland’s European elections », Notes from Poland, 10 juin 2024, URL https://notesfrompoland.com/2024/06/10/six-conclus... consulté le 9 septembre 2024.
[5] TV5 Monde et AFP, « Pologne : l'opposition remporte les élections législatives », TV5 Monde, 17 octobre 2023, URL https://information.tv5monde.com/international/pol... consulté le 16 septembre 2024.
[6] Tilles, Daniel, op. cit.
[7] Ibid.
[8] Szczerbiak, Aleks, « Why does Poland’s European Parliament election matter? », Notes from Poland, 28 mai 2024, URL https://notesfrompoland.com/2024/05/28/why-does-po... consulté le 16 septembre 2024.
[9] Charlish, Alan, « Poland's Tusk says EU vote crucial for keeping war outside the bloc », Reuters, 4 juin 2024, URL https://wnd.infobase.com/reutersarticle/1031065?wid=100808, consulté le 9 septembre 2024.
Chabal, Martin, « Élections européennes: en Pologne, des visions de l'Europe divergentes sur fond de guerre en Ukraine », RFI, 8 juin 2024, URL https://www.rfi.fr/fr/europe/20240608-%C3%A9lectio... consulté le 16 septembre 2024.
[10] Viatteau, Magda, op. cit.
[11] Tilles, Daniel, op. cit.
[12] Kość, Wojciech, « Poland was promised change. It got politics », Politico, 29 mai 2024, URL https://www.politico.eu/article/poland-promised-ch... consulté le 9 septembre 2024.
Autres références
Brousseau, François, « L’alternance au pouvoir en Pologne, une preuve de démocratie », Radio-Canada, 17 octobre 2023, URL https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2018637/elect... consulté le 9 septembre 2024.
Chapleau, Philippe, « Élections européennes : en Pologne, le scrutin confirme la chute de popularité du PiS », Ouest France, 9 juin 2024, URL https://www.ouest-france.fr/elections/europeennes/... consulté le 9 septembre 2024.
Szczerbiak, Aleks, « How deep is the crisis in Poland’s Law and Justice party? », Notes from Poland, 11 mars 2024, URL https://notesfrompoland.com/2024/03/11/how-deep-is... consulté le 9 septembre 2024.
Dernière modification: 2024-09-23 15:04:01
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