4 mai 2025

8 avril 2025

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Le Groenland : une île hautement stratégique dont la souveraineté est menacée

Alors qu’un mouvement indépendantiste fort existe au Groenland, ce territoire encore sous contrôle danois se retrouve au cœur des tensions géopolitiques. Son importance réside dans sa position géographique stratégique en Arctique, à proximité des États-Unis, du Canada et de la Russie, ainsi que dans la richesse de ses ressources naturelles.

Une longue marche vers l’autodétermination

La plus grande île du monde est aujourd’hui un territoire autonome du Royaume de Danemark [1]. Isolée sur un vaste territoire de près de 2,2 millions de km, la population de 56 000 habitants, à vaste majorité inuit, a voté en mars 2025 dans une proportion de 30 % pour un parti politique engagé à obtenir l’indépendance [2]. Toutefois, ce n’est pas le plus haut score qu’un parti indépendantiste groenlandais ait récolté, puisqu’en 2009 le parti Inuit Ataqatigiit avait obtenu plus de 43 % des voix [3]. Ces résultats sont le fruit d’un processus historique dans la durée qui va de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui.

Le Danemark a pris le contrôle du Groenland en 1944 à la suite de la scission du Royaume de Norvège et du Danemark. En 1953, le Danemark met fin au statut colonial de l’île, amorçant ainsi une émancipation progressive marquée par une série de référendums. Cela inclut l’obtention de l’autonomie politique en 1979. En 1982, les Groenlandais choisissent de quitter la Communauté économique européenne et, en 2009, ils obtiennent une autonomie renforcée, leur accordant le droit à l'autodétermination [4]. Malgré ce droit, le Danemark contrôle toujours les affaires étrangères, la politique monétaire et la défense.

Une souveraineté menacée par l’administration Trump

Dès son discours d’investiture en janvier 2025, le président Donald Trump a affirmé que le Groenland « est un endroit merveilleux qui finira par devenir américain [5] ». Lors de son premier discours devant le Congrès, il a réaffirmé son intention d’acquérir le territoire « d’une façon ou d’une autre [6] ». Le vice-président américain, J. D. Vance, a aussi récemment fait une visite sur l’île en déclarant devant des soldats américains : « Ce territoire est extrêmement important pour la sécurité des États-Unis, et il est très vulnérable en ce moment, nous pourrions le rendre beaucoup plus sûr [7]. »

Nouvellement élu lors des élections législatives du 11 mars 2025, le premier ministre du Groenland, Jens-Frederik Nielsen a riposté : « Le président Trump affirme que les États-Unis obtiendront le Groenland. Soyons clairs : les États-Unis ne l'obtiendront pas. Nous n’appartenons à personne d’autre. Nous décidons de notre propre avenir [8]. » Les États-Unis ont déjà tenté d'acquérir l'île en 1867, 1910, 1946 et lors du premier mandant de Trump en 2019 [9].

Un objectif de sécurité nationale

Située en Arctique, l'île est particulièrement importante pour la défense américaine. Le pays possède déjà une base militaire aérienne qui est intégrée dans le système de commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) [10]. Comme le souligne Marc Jacobsen, professeur associé au Collège royal de défense du Danemark : « Si la Russie envoyait des missiles vers les États-Unis, la route la plus courte pour les armes nucléaires passerait par le pôle Nord et le Groenland. C’est pourquoi la base de Pituffik est d’une importance capitale pour la défense des États-Unis [11]. »

Le changement climatique vient aussi bouleverser l’équilibre de l'Arctique. Avec la fonte des glaces, de nombreux nouveaux passages maritimes s’ouvrent dans cette région et la Russie et la Chine y sont déjà présentes. Depuis la guerre en Ukraine, la Russie a multiplié son développement militaire dans la région arctique et a récemment mené un exercice militaire conjoint avec la Chine dans la région [12]. Les deux pays disposent de nombreux équipements militaires qui sont déployés près du Groenland et du nord canadien : sous-marins nucléaires, navires de combat et un grand nombre de brise-glace [13]. Cette situation pousse les États-Unis à vouloir sécuriser l'île afin de reprendre l’ascendant dans la région.

Un sol riche en minéraux et en énergies fossiles

Il est estimé que la région de l'Arctique dispose d’environ un quart du gaz et du pétrole mondial non découvert, et que le tiers se retrouve au Groenland [14]. De plus, on y trouverait entre 12 et 25 % des réserves de terres rares mondiales ainsi que 23 % de l’uranium [15]. Les terres rares sont essentielles dans la confection des objets électroniques de haute technologie comme les semi-conducteurs, mais aussi afin d’alimenter les batteries qui sont essentielles à la transition énergétique [16]. Ce potentiel minier est fondamental pour les États-Unis, puisque la Chine contrôle actuellement la majorité des terres rares mondiales [17].

D'ailleurs, le changement climatique accentue la pression américaine puisque la fonte des glaces facilite l’accès aux ressources naturelles, actuellement prisonnières de la glace [18]. Il est cependant important de noter que l’accès difficile va nécessiter beaucoup de temps et d’investissements importants en raison du manque d’infrastructures essentielles comme des routes et des voies ferrées [19].

Une volonté d’indépendance freinée par les États-Unis

Selon les sondages, 80 % des Groenlandais sont favorables à une indépendance, mais ils ne sont toutefois pas prêts à sacrifier leur niveau de vie [20]. Cette réalité met en lumière la dichotomie qui existe : d’un côté il y a une grande volonté d’être indépendant, mais de l’autre la population n’est pas prête à se départir des avantages économiques qu’offre la liaison avec le Danemark. Copenhague verse annuellement 530 millions d’euros au Groenland, soit l’équivalent d’environ le tiers de son budget annuel, afin de garantir une offre de service public de qualité à la population [21].

De plus, comme l’explique Damien Degeorges, docteur en sciences politiques, spécialiste du Groenland, « la menace de Donald Trump peut [...] servir de catalyseur pour un retour du Groenland dans l’Union européenne (UE) [...] [22] ».

Pour Florian Vidal, chercheur à l’Université de l’Arctique de Norvège, l’indépendance pose la question de : « qui va garantir la sécurité du Groenland [23] ? » Il ajoute que cette situation serait une voie toute tracée pour les États-Unis « afin d’intégrer davantage le territoire à leur sphère d’influence ». Selon ces chercheurs, le projet indépendantiste du Groenland risquerait donc de déboucher à un statu quo : en se détachant du Danemark, le territoire passerait d’une tutelle à une autre, en renforçant sa dépendance vis-à-vis des États-Unis.

Malgré cette forte dépendance envers le Danemark, certains continuent à mettre de l’avant l’importance d’un État groenlandais souverain. Afin de mettre sur pied un modèle économique alternatif, plusieurs militent pour que l’île exploite ses ressources minières. Cependant, cette solution ne fait pas l’unanimité au sein de la population inuit qui a refusé l’exploitation de minerai contenant plus de 0,1 % d’uranium, craignant la radioactivité [24]. Jess G. Berthelsen, un syndicaliste groenlandais, conteste cette vision : « Les gens veulent être indépendants, mais ne veulent pas d’autres revenus que ceux de la pêche. Ils pensent que l’argent va tomber du ciel [25]. » Le géologue Laurent Geoffroy ajoute : « Les richesses du Groenland sont certaines, et leur exploitation pourrait permettre d’envisager une indépendance économique complète [26]. »

Dans ce contexte, le Groenland se retrouve à un tournant, entre la quête d’une autonomie politique complète et la quête de puissance des États-Unis, de la Russie et de la Chine.

Médiagraphie

[1] République Française, « Groenland : les relations avec l'Union européenne en quatre questions », 12 mars 2025, URL [hyperlien] consulté le 04/04/2025

[2] Overseas Countries and Territories Association, « Groenland », URL [hyperlien] consulté le 04/04/2205

Descamps, Philippe, « Au Groenland, l’indépendance à petits pas », Le Monde diplomatique, 13 mars 2025, URL [hyperlien] consulté le 04/04/2025

[3] Europe 1, « Groenland : victoire historique des indépendantistes », 3 juin 2009, URL [hyperlien] consulté le 04/04/2025

[4] Loc. cit.

[5] 20 minutes, « Investiture de Donald Trump : « Le Groenland est un endroit merveilleux » qui finira par devenir américain », 20 janvier 2025, URL [hyperlien] consulté le 04/04/2025

[6] Gautheron, Agnès et Borredon, Laurent, « Ce qu’il faut retenir du disours de Donald Trump devant le Congrès », Le Monde, 6 mars 2025, URL [hyperlien] consulté le 04/04/2025

[7] L. Szulewicz, E. Pénot, N. Jayer, « Pourquoi Donald Trump convoite-t-il autant le Groenland ? », Franceinfo, 5 avril 2025, URL [hyperlien] consulté le 05/04/2025

[8] Associated Press, « Les États-Unis ne s’empareront pas du Groenland, assure le premier ministre », La Presse, 30 mars 2025, URL [hyperlien] consulté le 05/04/2025

[9] Deschamps, op. cit.

[10] Blanchard, Sandrine, « Les visées expansionnistes des Etats-Unis sur le Groenland », Deutche Welle, 28 mars 2025, URL [hyperlien] consulté le 05/04/2025

[11] Voc, Ido, « Why does Trump want Greenland and what do its people think ? », BBC News, 24 mars 2025, URL [hyperlien] consulté le 05/04/2025

[12] Lebel, Félix, « Le Canada accentue sa présence diplomatique dans l’Arctique », Radio-Canada, 6 décembre 2024, consulté le 13/12/2024, URL Le Canada accentue sa présence diplomatique dans l’Arctique | Radio-Canada

[13] Lebel, Félix, « Les Forces armées canadiennes vont accroître leur présence dans l’Arctique », Radio Canada, 8 avril 2024, consulté le 13/12/2024, URL Les Forces armées canadiennes vont accroître leur présence dans l’Arctique | Radio-Canada

[14] Humans & Climate Change, « Groenland : les enjeux actuels », URL [hyperlien] consulté le 06/04/2025

[15] Loc. cit.

[16] Revue Conflit et Agence France-Presse, « Carte – Groenland : Les minéraux critiques », 4 avril 2025, URL [hyperlien] consulté le 06/04/2025

[17] Loc. cit.

[18] Deschamps, op. cit.

[19] Loc. cit.

[20] Degeorges, Damien, et al. « Groenland : un territoire arctique, objet de convoitises », Radio France International, 1er minute, 9 mars 2025, URL [hyperlien] consulté le 06/04/2025

[21] Blanchard, op. cit.

[22] Degeorges, op. cit. 5e minute.

[23] Ibid. 12e minute

[24] Deschamps, op. cit.

[25] Loc. cit.

[26] Loc. cit.



Dernière modification: 2025-04-14 14:32:36

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