7 avril 2025

30 septembre 2007

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La «révolution safran» au Myanmar : la crise politique fait ses premières victimes

Depuis le 26 septembre 2007, les autorités du Myanmar utilisent la force pour mettre fin aux manifestations qui durent depuis plus d'un mois. Cette crise politique constitue le plus grand défi pour la junte militaire au pouvoir depuis 1988. En effet, pour la première fois, les bonzes (moines bouddhistes) ont retiré leur caution au régime en manifestant contre le régime du général Than Shwe. La presse internationale a baptisé le mouvement protestataire la «révolution safran», du nom de la couleur de l'habit des moines (1).

Les bonzes sont des religieux de confession bouddhiste. Au Myanmar, on en dénombre environ 800 000 (2). Avant la présente crise, la junte s'était assuré leur soutien par deux moyens. D'une part, les militaires témoignaient leur dévotion envers les moines en édifiant des monuments religieux, dont le plus grand Bouddha en marbre du monde à Rangoun (3). D'autre part, les bonzes recevaient des offrandes de la part des militaires (4).

Environ 89% de la population du Myanmar est de confession bouddhiste et très pratiquante (5). Selon Farid Ghehioueche, président d'Info-Birmanie, cela permet aux moines d'être «adulés par la population (6)».

L'évolution de l'affrontement entre les moines et les militaires

Une première vague de manifestations se tient du 19 au 27 août 2007. Elle est organisée par deux mouvements d'opposition birmans : la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et le mouvement Génération 88. Les protestataires dénoncent la détérioration des conditions de vie provoquée par la hausse des prix décrétée par la junte militaire. Ces protestations se soldent par un échec.

Toutefois, le mouvement de protestation est relancé par le fait que le régime ne tolère aucune manifestation. Cette règle s'est appliquée même lors d'une manifestation des bonzes le 5 septembre 2007. Par conséquent, les bonzes manifestant calmement furent brutalisés par les forces policières (7).

Bien que les moines soient réputés pour ne pas tenir un «rôle social [...] et encore moins un rôle politique (8)», leur dépendance face aux dons de la population les a poussés à manifester. Selon Aung Naing Oo, un opposant politique à la junte militaire, les moines doivent «passer devant 35 maisons pour réunir leur nourriture, alors que cinq suffisaient [avant la hausse des prix] (9)».

Alors que les protestations se succédèrent, les bonzes se retrouvèrent à la tête d'un mouvement protestataire généralisé. En effet, lors de la manifestation du 20 septembre, qui comptait 1300 bonzes, la population s'était contentée d'applaudir les moines. En revanche, la manifestation du 26 septembre 2007 comptait environ 30 000 moines et 70 000 civils (10). Selon Florence Compain, spécialiste de la région au quotidien Le Figaro, l'implication accrue des moines bouddhistes a «transformé les protestations sporadiques contre l'augmentation massive des prix du carburant en une action pacifique de masse contre la junte (11)». Les bonzes sont devenus les catalyseurs de la frustration de la population.

Après une série d'avertissements, la junte recouru à la répression pour mettre fin aux manifestations. Au cours de la manifestation du 26 septembre 2007, les forces policières abattirent trois moines et un civil en plus de faire une centaine de blessés (12). Le lendemain, à Rangoun, les affrontements firent neuf morts dont un journaliste japonais (13).

Pour l'instant, il n'y a pas d'autres morts chez les bonzes. Cela s'explique par une décision du régime militaire visant à empêcher les moines de manifester en les retenant dans leurs monastères. Cette décision fonctionne, car les bonzes ne luttent pas pour sortir des monastères afin de manifester. Ainsi, les autorités évitent des affrontements susceptibles de renforcer le mouvement protestataire.

Une communauté internationale divisée

Les réactions de la communauté internationale condamnant l'usage de la force par les militaires du Myanmar n'ont pas tardé. Le porte-parole du président des États-Unis, Gordon D. Johndroe, a indiqué que «les États-Unis sont très troublés par les actions commises par la junte militaire contre la population du Myanmar (14)».

De son côté, le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) demande à la junte de faire preuve de retenue et annonce l'envoi sur le terrain de l'émissaire spécial Ibrahim Gambari (15).

Le président français, Nicolas Sarkozy, mentionne que «la France n'acceptera pas que l'opposition birmane soit muselée (16)». Même son de cloche à l'Association des Nations d'Asie du Sud-est (Asean), alors que les ministres des Affaires étrangères «ont exigé que le gouvernement birman cesse immédiatement d'utiliser la violence contre les manifestants (17)».

En revanche, la Russie et la Chine estiment que la crise est une affaire interne qui ne relève pas des compétences du Conseil de sécurité. L'ambassadeur chinois à l'ONU soutient que les violences au Myanmar «ne constituent pas une menace pour la paix régionale et internationale (18)». De même, le ministère des Affaires étrangères russe a déclaré qu'il s'agissait d'une «affaire interne (19)».

La tiédeur de ces réactions s'explique par des motifs économiques. Selon Pascal Martin, du quotidien Le Soir, la Chine «a réussi à pénétrer dans le pays grâce à un partenariat avec la junte arrivée au pouvoir en 1988 (20)». M. Martin indique aussi que la Russie «commence à avoir des intérêts économiques et stratégiques en Birmanie (21)». Donc, ces deux États ont intérêt à préserver leurs bonnes relations avec la junte du Myanmar. L'appui des États russe et chinois est également illustré par leur veto, déposé en janvier 2007, face à une résolution réclamant de nouvelles sanctions économiques contre la junte.

Finalement, le fait que les violences continuent malgré les appels des États occidentaux signifie que leurs demandes de retenue ne suffisent pas. Selon Gareth Evans, président de l'International Crisis Group, les pressions efficaces sur les militaires n'émaneront pas de l'Occident, car les investissements occidentaux «ne pèsent pas assez en Birmanie pour que les sanctions financières [...] aient un impact (22)». À cet égard, les puissances régionales auront donc un rôle important à jouer. Selon Gareth Evans, les dirigeants du Myanmar «parleront aux dirigeants chinois et indiens si ceux-ci interviennent et disent qu'ils ne toléreront pas de nouvelle répression (23)».




Références:

(1) SIROIS, Alexandre. «La junte militaire hausse le ton», La Presse (Montréal), 26 septembre 2007, p. A28.

(2) L'HUMANITÉ. «Le poids du bouddhisme», l'Humanité (Paris), 27 septembre 2007, p. 2.

(3) COMPAIN, Florence. « L'histoire enseigne aux militaires birmans que la révolte des bonzes peut être contagieuse, (En ligne), 25 septembre 2007, http://www.lefigaro.fr/debats/20070925.FIG00000006... (Page consultée le 27 septembre 2007).

(4) Ibid.

(5) SIROIS, Op. Cit.

(6) L'HUMANITÉ, Op. Cit.

(7) AGENCE FRANCE PRESSE. «Les moines bouddhistes continuent de défier la junte militaire», Le Monde (Paris), 20 septembre 2007, p. 6.

(8) MALOVIC, Dorian. «Les moines bouddhistes retirent leur caution à la junte birmane», (En ligne), 20 septembre 2007, http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=23... (Page consultée le 20 septembre 2007).

(9) COMPAIN. Op. Cit.

(10) AGENCE FRANCE PRESSE et ASSOCIATED PRESS. «Birmanie-La junte impose le couvre-feu», Le Devoir (Montréal), 26 septembre 2007, p. A7.

(11) COMPAIN. Op. Cit.

(12) COMPAIN, Florence. «Birmanie : les bonzes bravent la répression», Le Figaro (Paris), 27 septembre 2007, p.2.

(13) SOCIÉTÉ RADIO-CANADA. «L'épreuve de force se poursuit», (En ligne), 27 septembre 2007, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International... (Page consultée le 27 septembre 2007).

(14) MYDANS, Seth. «Myanmar Raids Monasteries Before Dawn», The New York Times (New York), September 27th, 2007, p.A1.

(15) SOCIÉTÉ RADIO-CANADA. Op. Cit.

(16) AGENCE FRANCE PRESSE et REUTERS. «Nouvelles pressions internationales», Le Figaro (Paris), 27 septembre 2007, p. 2.

(17) PARAMESWARAN, Ponnudurai. «L'Asean exige la fin des violences en Birmanie», (En ligne), 27 septembre 2007, http://www.cyberpresse.ca/article/20070927/CPMONDE... (Page consultée le 27 septembre 2007).

(18) BOLOPION, Philippe. «Divisée, l'ONU appelle à la «retenue» et envoie un émissaire», Le Monde (Paris), 28 septembre 2007, p. 4.

(19) SOCIÉTÉ RADIO-CANADA. «Appel à la retenue», (En ligne), 26 septembre 2007, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International... (Page consultée le 27 septembre 2007).

(20) MARTIN, Pascal. «Une Birmanie démocratique n'est pas pour demain», Le Soir (Bruxelles), 27 septembre 2007, p. 21.

(21) Ibid.

(22) WERLY, Richard. «L'Inde et la Chine doivent agir», Le Soir (Bruxelles), 27 septembre 2007, p. 3.

(23) Ibid.

Dernière modification: 2007-10-05 08:10:15

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