Nous voici à quelques semaines de la journée internationale de la femme. Comme
chaque année, la journée du 8 mars représente pour les Occidentaux, autant les
femmes que les hommes, un moment opportun pour se rappeler les luttes menées
pour l'égalité entre les sexes. Par contre, trop souvent ils oublient que ces
luttes ne sont pas seulement menées dans les sociétés occidentales, mais
également à l'échelle planétaire. Dans cette optique, il est important de
souligner l'action politique de l'ancienne première ministre du Pakistan et
opposante au régime Benazir Bhutto, assassinée le 27 décembre 2007 (1).
Qui était Benazir Bhutto?
Portée par la notoriété politique de sa famille, Benazir Bhutto ne laissait
personne indifférent. Adulée et respectée par des millions de Pakistanais qui
la surnommaient affectueusement «Pinky» (2), elle était également taxée
d'opportunisme par plusieurs en raison de son nom de famille.
Née à Karachile au Pakistan, le 21 juin 1953, Benazir Bhutto était la fille de
l'ancien premier ministre pakistanais Zulfikar Aliî Bhutto (3). Cette femme
distinguée et mère de trois enfants a reçu, au cours de sa jeunesse, une
éducation universitaire de premier plan à Harvard aux États-Unis, ainsi qu'à
Oxford, en Angleterre, en politique, en économie, en philosophie ainsi qu'en
droit international (4). Elle laissa d'ailleurs à ses anciens collègues de
classe le souvenir d'une femme enjouée qui appréciait le gin-tonic, les
biographies sur la monarchie britannique et le chocolat anglais (5).
Élevée dans l'islam moderne, à l'intérieur duquel autant les filles que les
garçons avaient les mêmes chances d'avancement, Benazir Bhutto croyait
fermement que ceux qui s'y opposaient avaient une mauvaise interprétation de la
religion (6). Elle était toutefois ouverte au compromis. Venant d'une famille opposée aux mariages «arrangés», elle n'hésita pas à y recourir afin de se conformer aux traditions et calmer les
tumultes populaires qui suivirent le décès de son père en 1979 (7).
Le personnage politique
Avec le recul des années, on constate qu'il est probable que la carrière
politique de Benazir Bhutto débuta avec l'arrestation et l'exécution de son
père lorsque son gouvernement fut renversé par un coup d'État militaire mené
par le général Zia en 1977 (8). À cette époque, après ses études, Benazir
Bhutto se dirigeait vers une carrière diplomatique, mais la défense de son père
lors de son procès changea ses plans. Elle commença alors à assumer des
responsabilités au sein du Parti du peuple pakistanais (PPP), fondé par son
père (9).
Cette période marquée par des assignations à résidence ou des emprisonnements,
les incarcérations de sa mère ou bien l'exil forcé de ses frères à l'étranger,
fit réaliser à Benazir Bhutto que le chemin vers la démocratie était parsemé
d'embûches (10). Chassée du pays en 1984, elle revint en 1986 pour prendre la
tête des manifestations demandant le retour au pouvoir des civils (11).
C'est en 1988, à la suite de la mort du général Zia, que Benazir Bhutto mena son parti
à la victoire aux élections. Elle devint la première femme à diriger le gouvernement d'un pays
musulman de l'ère moderne, ce qui n'était pas sans irriter les milieux
islamistes du Pakistan (12). Son gouvernement est démis pour la première fois
en août 1990 par le président Ghulam Ishaq Khan sous l'accusation de
corruption et d'abus de pouvoir. Des élections ont lieu mais le parti de Bhutto
encaisse la défaite. L'époux de Benazir Bhutto sera mis en détention la même année et
acquitté en 1993 (13).
Benazir Bhutto redevient à nouveau premier ministre en 1993. Devenue une
politicienne plus expérimentée, elle gouverna de façon plus efficace,
n'hésitant pas à faire des alliances avec les groupes d'opposition et les
militaires. C'est également l'époque où elle fit face pour la première fois à
la montée de l'islamisme. Elle perd le pouvoir aux élections de 1996 face à son
grand rival Nawaz Sharif. À nouveau accusés de corruption en 1999, Benazir
Bhutto et son mari partent en exil entre Londres et Dubaï (14).
Le retour fatidique au pays
Bien qu'elle soit en exil, Benazir Bhutto entretient des communications
informelles avec le président Pervez Musharraf à la suite du coup d'État qui
renversa le gouvernement de Nawaz Sharif en 1999. De plus en plus isolé au
point de vue diplomatique, Musharraf se voit forcé d'accepter le retour à la
démocratie au Pakistan en signant une loi d'amnistie levant les accusations de
corruption contre Benazir Bhutto (15).
Se sachant menacée, car elle est un symbole à abattre pour les talibans et
Al-Qaïda, Benazir Bhutto n'hésite pas à revenir au Pakistan (16). Affirmant
qu'il était de son devoir de se représenter aux élections afin de secourir son
pays en proie à la violence et à l'extrémisme religieux (16), elle revient au
Pakistan le 18 octobre 2007. À peine arrivée, son cortège est attaqué le même jour, faisant 136 victimes. Par miracle, elle s'en échappe indemne. Elle est toutefois assassinée 70 jours plus tard, lors d'une réunion
politique, le 27 décembre 2007, dans un attentat-suicide revendiqué par
Al-Qaïda (17).
Le legs de Benazir Bhutto
Le bilan de Benazir Bhutto est controversé. Lors de son premier passage au
pouvoir en 1988, en 20 mois de gouvernance, elle a été incapable de faire
adopter des législations maîtresses par le Parlement (18). Malgré le fait
qu'elle épousait les causes libérales et démocratiques dans les médias
occidentaux, très peu en réalité était fait concrètement à l'intérieur du pays
(19).
Par contre, Benazir Bhutto a tout de même réussi à décentraliser et alléger
l'économie de ses lourdeurs administratives. Elle a permis la modernisation des
infrastructures du pays et le développement du tourisme (20).
Benazir Bhutto a fait beaucoup pour le droit des femmes. Elle a nommé plusieurs
femmes à des postes de ministres. Elle a créé le ministère du développement
féminin et la formation d'organismes de planification des naissances. Elle a
également supprimé l'interdiction pour les femmes de participer à des
manifestations sportives internationales (21).
Aujourd'hui dans le pays, très peu subsiste des réalisations de Benazir Bhutto.
Les réformes en faveur des femmes ont été démantelées. Mais ce qui demeure sera
le souvenir d'une femme courageuse et tenace qui n'a pas reculé devant
l'adversité et son destin.
1) Auteur inconnu. «L'opposante pakistanaise Benazir Bhutto assassinée», Nouvel Observateur, le 28 décembre 2007.
2) VIVRE FEMME-PORTAIL MAROCAIN DES FEMMES- [En ligne], le 18 juillet 2007. http://www.vivrefemme.net/Benazir-Bhutto,-l... (Page consultée le 12 février 2009). BAKER, Aryn. «Bhutto's Incomplete Legacy», Time Magazine, 17 février 2008.
3) BAKER, Aryn. «Bhutto's Incomplete Legacy», Time Magazine, 17 février 2008.
4) VAN NYPELSEER, Catherine. «Benazir Bhutto, l'exceptionnelle (1)», Banc Public, numéro 168, mars 2008. http://www.bancpublic.be/PAGES/168bb1.html
5) JACK, Ian. «Born to rule», The Guardian, le 29 décembre 2007.
6) VAN NYPELSEER, Catherine. «Benazir Bhutto? (1)», Op. cit.
7) Loc. cit.
8) VAN NYPELSEER, Catherine. «Benazir Bhutto, l'exceptionnelle (2)», Banc Public, numéro 169, avril 2008. http://bancpublic.be/PAGES/169bb2.html
9) Loc. cit.
10) Loc. cit.
11) Auteur inconnu. «L'opposante pakistanaise...», Op. cit.
12) Loc. cit.
13) VIVRE FEMME-PORTAIL MAROCAIN DES FEMMES, [En ligne], le 18 juillet 2007. Op. cit.
14) Auteur inconnu. «L'opposante pakistanaise...», Op. cit.
15) Loc. cit.
16) SCOTT-CLARK, Cathy et LEVY, Adrian. «Duty, destiny and death : the final preoccupations», The Guardian, le 29 décembre 2007.
17) Auteur inconnu. «L'opposante pakistanaise...», Op. cit.
18) DALRYMPHE, William. «Martyr Without a Cause», Time Magazine, le 31 janvier 2008.
19) Loc. cit.
20) VAN NYPELSEER, Catherine. «Benazir Bhutto...(2)», Op. cit.
21) Loc.cit.
Dernière modification: 2009-02-20 09:08:01
-N.D.L.R.: Il est possible que des hyperliens actifs au moment de la recherche et de la rédaction de cet article ne le soient plus ultérieurement.