9 avril 2025

6 avril 2021

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L’Internet en Afrique : un enjeu multidimensionnel

Le nombre d’utilisateurs d’Internet n’a cessé d’augmenter sur l’ensemble du continent africain dans les dernières années. Entre 2011 et 2018, son taux d’utilisation a plus que doublé, passant de 13,5 % à 28 % [1]. Malgré ces avancées majeures, le continent démontre des lacunes significatives en matière d’infrastructures permettant de fournir un service Internet rapide et stable. Des grandes firmes américaines telles que Google et Facebook se penchent de plus en plus vers le continent pour développer de nouveaux projets [2].

Une utilisation en hausse

L’utilisation d’Internet en Afrique est en hausse fulgurante depuis une décennie. Le Maroc est le pays du continent où le pourcentage de la population utilisant Internet est le plus élevé, avec 62 %. Dernière le Maroc, il y a les îles Seychelles avec 59 % et le Cap-Vert avec 57 % [3].

Malgré le nombre élevé d’internautes, la connectivité demeure très lente et peu stable. Les connexions 3G sont encore très courantes sur le continent, ce qui limite la vitesse de connexion à moins de 5 Mb/s pour les régions qui utilisent ce type de connexion [4]. À titre comparatif, le gouvernement du Canada a pour vitesse cible minimale 6,25 Mb/s pour tous les ménages canadiens. Certaines villes au pays peuvent se rendre à des vitesses avoisinant les 125 Mb/s [5]. La connectivité en Afrique est certes présente, mais demeure à des vitesses assez limitées.

En 2018, les technologies et les services mobiles ont permis de générer 8,6 % du produit intérieur brut (PIB) de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Ce pourcentage se traduit par une valeur ajoutée de 144 milliards de dollars. D’ici 2025, 167 millions de nouveaux abonnés aux services mobiles sont attendus sur le continent [6]. Cette augmentation du nombre d’abonnés aux services mobiles en Afrique représente la plus grande croissance d’usage de la téléphonie au monde [7]. Il serait alors raisonnable de s’attendre à une augmentation du PIB général de l’ensemble du continent africain dans les prochaines années.

Des infrastructures vieillissantes et instables

De manière générale, il est très difficile de fournir un service Internet dans les zones reculées à l’intérieur des terres, puisqu’il n’y a pas d’infrastructures qui le permettent [8]. De ce fait, la plupart des individus vivant dans des zones rurales se voient privés de ce service pouvant être considéré aujourd’hui comme « essentiel ».

En plus d’être limitée dans son nombre d’infrastructures permettant de desservir Internet, l’Afrique doit aussi composer avec le fléau de l’instabilité électrique. L’augmentation grandissante du nombre d’internautes engendre une hausse de la demande en consommation énergétique dans les datacenters [9]. Comme l’a mentionné Energy Growth Hub, un réseau à but non lucratif : « Sans une énergie bon marché et fiable, les datacenters africains ne peuvent pas être compétitifs et ne seront pas construits [10]. » En 2020, la façade atlantique du continent n’a pas été exempte des coupures de câbles sous-marins de fibre optique. Le problème n’est pas lié à ces coupures, mais plutôt au manque d’options lorsque celles-ci surviennent. Les délais pour le rétablissement du réseau peuvent s’avérer très longs [11].

Les prix d’Internet pour la population des pays enclavés sont très élevés lorsque les gouvernements décident de ne pas subventionner ce secteur. Au 2e trimestre de 2019, les prix pour 1Gb de données étaient de 2,21 dollars au Rwanda, de 3,17 dollars au Burundi et de 15 dollars au Zimbabwe [12]. Il est important de conserver à l’esprit que 1GB de données est épuisé très rapidement lorsqu’on navigue sur le web. De plus, le pouvoir d’achat de la population de ces pays demeure très faible.

Pour remédier à ces grandes lacunes d’infrastructures, d’accessibilité énergétique et de prix faramineux pour l’utilisation d’Internet, de grandes entreprises privées américaines, telles que Google et Facebook, ont entamé des investissements massifs sur le continent. Nous pouvons penser à la construction du câble à fibre optique connectant le Nigeria à l’Afrique du Sud ou au projet Smart Africa. Environ 80 % des flux qui transitent sur les quelque 1,3 million de kilomètres de câbles sous-marins proviennent des États-Unis [13]. Le directeur des réseaux et services internationaux de la société française de télécommunications Orange dénonce un « Internet trop centré sur les États-Unis », et il se désole en disant qu’il « regrette que l’Europe et l’Afrique n’aient pas une politique plus ambitieuse de localisation de ses données chez elles [14] ».

D’autre part, Samir Abdelkrim, auteur de Startup Lions, au cœur de l’African Tech, se montre réfractaire aux nouveaux projets des GAFAM et à leur réglementation : « Leurs patrons sont généralement des libertariens, convaincus que le business a pour vocation de se substituer aux États [15]. ». Alors que d’autres, comme Bacely Yorobi, un développeur ivoirien, sont plutôt convaincus qu’il s’agit d’une initiative novatrice et avantageuse pour le continent : « Les GAFAM ont compris que le futur s’invente en Afrique, même s’ils ne savent pas quelle forme il prendra [16]. »

Sous le contrôle des gouvernements

L’émergence d’Internet a certes permis aux Africains d’avoir accès aux diverses plateformes web, mais certains gouvernements détiennent le monopole de son utilisation. En effet, lors de l’élection présidentielle du 14 janvier 2021, le gouvernement ougandais a pris la décision d’interdire l’utilisation des plateformes de réseaux sociaux telles que Facebook, WhatsApp et Twitter [17]. Les défenseurs des droits numériques ont manifesté leur mécontentement en fustigeant cette censure. Le gouvernement s’est alors défendu en arguant qu’il s’agissait d’une mesure de sécurité nationale. Le Zimbabwe, le Togo, le Burundi, le Tchad, le Mali et la Guinée ont également usé de ces méthodes de restrictions [18].

Les stratégies de blocage des gouvernements se manifestent généralement par un ralentissement des sites visités ou tout simplement par un blocage de liens Internet. De ce fait, les utilisateurs sont dissuadés de poursuivre leur recherche ou n’ont tout simplement plus accès au site recherché [19].

Ce contrôle gouvernemental visant à couper l’accès à Internet a été utilisé au Togo pour endiguer des manifestations qui sévissaient dans le pays. Cette coupure d’Internet avait pour objectif d’enrayer les différents débats et échanges d’idées pouvant être en rupture avec l’idéologie du gouvernement en place [20]. Cependant, ces coupures occasionnent des coûts faramineux pour les gouvernements. Le cas de l’Éthiopie est intéressant, alors que le pays aurait perdu 132,1 millions de dollars US pour 36 jours de coupure totale d’Internet et six jours de coupure des réseaux sociaux [21]. Ces montants ne sont pas à négliger.

L’avènement de l’Internet en Afrique pourrait potentiellement révolutionner l’ensemble du continent et permettre aux pays de générer davantage de revenus. Les optimistes comme Bacely Yorobi diront que les investissements massifs des GAFAM vont améliorer le sort de l’Afrique. Comme l’a évoqué Jean-Philippe Duval, associé responsable des activités de conseil chez PwC France et Maghreb, « la technologie ouvre de nouveaux marchés, survole les frontières, crée de l'emploi, enrichit l'offre de choix, accélère les processus d'achat et de vente, apporte de la transparence, casse les habituelles politiques de prix et raccourcit les délais d'attente [22]. »




Références:

[1] Bennour, Mounir, « Afrique : 46% de la population utilise Internet », Anadolu Agency, 1 mars 2021, URL https://www.aa.com.tr/fr/afrique/afrique-46-de-la-... consulté le 27/03/2021.

[2] Poireault, Kevin, « Pourquoi les connexions internet sont plus fragiles en Afrique », Jeune Afrique, 29 avril 2020, URL https://www.jeuneafrique.com/936874/economie/pourq... consulté le 03/27/2021.

[3] Cessou, Sabine, « Internet: les 10 pays les plus connectés d’Afrique », RFI, 23 août 2019, URL https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190823-internet-10... consulté le 03/27/2021.

[4] Lion, Bastien, « En Afrique, la question de l'accès à Internet plus critique que jamais », Les Numériques, 4 février 2021, URL https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/en-afriqu... consulté le 03/27/2021.

[5] Gouvernement du Canada, La haute vitesse pour tous : la stratégie canadienne pour la connectivité, 2019, URL https://www.ic.gc.ca/eic/site/139.nsf/fra/h_00002.html, consulté le 01/04/2021.

[6] Cessou, Sabine, Op. Cit.

[7] Loc. Cit.

[8] Lion, Bastien, Op. Cit.

[9] Loc. Cit.

[10] Loc. Cit.

[11] Poireault, Kevin, Op. Cit. [12] Loc. Cit.

[13] Loc. Cit.

[14] Loc. Cit.

[15] Olivier, Mathieu, et Stéphane Ballong, « Gafam : L’Afrique face aux géants du Web », Jeune Afrique, 16 août 2018, URL https://www.jeuneafrique.com/mag/614444/societe/ga... consulté le 04/02/2021.

[16] Loc. Cit.

[17] Giles, Christopher et Peter Mwai, « Internet en Afrique : Où et comment les gouvernements bloquent-ils les accès ? », BBC news, 15 janvier 2021, URL https://www.bbc.com/afrique/region-55665347, consulté le 03/27/2021.

[18] Loc. Cit.

[19] Loc. Cit.

[20] Bruel, Benjamin, « En Afrique, les restrictions d'accès à Internet ont coûté plus de 200 millions d'euros en deux ans », 02 octobre 2017, France 24, URL https://www.france24.com/fr/20171002-afrique-restr... consulté le 03/27/2021.

[21] Loc. Cit.

[22] Duval, Jean-Philippe, « Les GAFAM en Afrique : aide au développement ou prédation ? », PWC France, URL https://www.pwc.fr/fr/decryptages/transformation/g... consulté le 03/27/2021.

Dernière modification: 2021-04-13 10:48:01

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