8 mai 2025

Discours de campagne du futur président de la République française

Date: 16 mai 1969

Sélection et mise en page par l'équipe de Perspective monde


Au moment où s'ouvre la campagne présidentielle, je voudrais, Français, Françaises, vous demander à tous, sans distinction d'opinions, d'avoir une pensée pour le général de Gaulle.

Il a refusé la défaite, incarné la Résistance et la Libération. Il n'a cessé de dénoncer les faiblesses, l'impuissance d'un régime dont les hommes, tous presque sans exception, sont venus, un jour de 1958, lui demander de sauver la République et de résoudre le drame algérien. La République a été sauvée. Le drame algérien a été résolu au prix, je le sais, de souffrances et de sacrifices pour les Français d'Algérie et le pays ne doit pas l'oublier. Mais enfin, pour la première fois depuis plus de cinquante ans, nos soldats, vos fils, vos frères, vos maris, ne se battent plus nulle part, sur la terre.

C'est dire combien la tâche de qui prendra la suite paraît écrasante et, pourtant, je suis candidat, et je vais vous dire pourquoi.

Pendant longtemps, vous le savez peut-être, je n'ai pas désiré une carrière politique active. Et puis, en 1962, le général de Gaulle m'a nommé, d'emblée, Premier ministre. J'ai fait mon apprentissage, j'ai fait des fautes comme tout le monde, mais je ne crois pas avoir été indigne de ma fonction et, d'ailleurs, le Chef de l'Etat, 2 Assemblées successivement et le pays, chaque fois qu'il a été consulté d'une façon ou d'une autre, m'ont confirmé ou même accru leur confiance. Et pendant toute cette période, chaque fois qu'on parlait de « succession » et de « dauphin » - et Dieu sait si la presse en parlait - eh bien, je ressentais plutôt une impression d'effroi. Et puis est venu Mai 1968. L'agitation universitaire qui se développait partout dans le monde, à Paris a pris une ampleur imprévue. Je me trouvais malheureusement en voyage officiel loin de la France, et quand je suis revenu, j'ai trouvé Paris hérissé de barricades, la grève générale proclamée, des milliers, des dizaines de milliers de gens qui défilaient derrière des drapeaux rouges et des drapeaux noirs, et un complot politique qui s'ébauchait. Et l'un se présentait déjà comme Président de la République et offrait à l'autre - c'était M. Mendès France, déjà - d'être son Premier ministre. Il fallait tenir. Il fallait tenir. Il fallait d'abord rétablir l'ordre progressivement mais fermement et sans faire couler le sang, sans nous jeter dans la guerre civile. Il fallait remettre la France au travail, et ce furent les discussions et les longues nuits de Grenelle - vous vous en souvenez - et puis des accords qui ont, je crois, donné satisfaction à beaucoup de travailleurs. Et puis, il fallait déjouer le complot politique, faire comprendre à l'opinion ce qui se passait jusqu'au jour où le Chef de l'Etat, dans un appel historique, put renverser la situation.

C'est à ce moment-là que j'ai compris : quand viendrait le jour, je n'aurais pas le droit de me dérober. Je suis donc candidat. Et je voudrais vous dire 2 choses. D'abord, je n'imiterai pas le style du général de Gaulle, je ne le pourrais d'ailleurs et puis, vous le voyez bien, je suis un homme différent. Je me propose une politique d'ouverture et de dialogue. Ouverture, cela veut dire un gouvernement rénové se reposant sur une majorité très large étendue à tous ceux qui acceptent les principes essentiels de la VI République. Dialogue, cela veut dire des rapports constants, confiants entre le gouvernement et le Parlement, Assemblée et Sénat, avec tous les élus, élus locaux en particulier, et avec le pays, car j'ai l'intention de lui expliquer, fréquemment, simplement, franchement, la politique, et naturellement de permettre aux oppositions de la critiquer. Tout cela, pourquoi? Eh bien, pour maintenir la dignité et l'indépendance de la France sur lesquelles reposent notre paix d'abord, mais aussi pour me pencher sur les difficultés quotidiennes, les préoccupations de chaque foyer. Il faut réaliser une expansion rapide permettant de développer la justice sociale, d'assurer l'emploi, de défendre la monnaie. Il faut faire une France moderne et en même temps ne pas oublier que la solidarité nationale doit jouer pour les régions déshéritées, les catégories défavorisées, les professions menacées. Mais tout cela ne sera pas facile. Il y aura naturellement des difficultés techniques. Il faut que l'Administration devienne plus souple, plus efficace, moins tatillonne, et d'ailleurs la plupart des fonctionnaires, l'immense majorité des fonctionnaires le souhaitent. Il faut avoir à sa disposition les moyens financiers, administratifs, économiques, mais il faut aussi avoir les moyens politiques. Il faut que le nouveau Président puisse d'emblée, avec un gouvernement rénové reposant sur une majorité très large, s'atteler à la tâche, car la situation actuelle, ne vous y trompez pas, est d'un calme factice. En période électorale, chacun se garde bien de faire peur mais, nous le savons bien, des difficultés se préparent. Dans l'Université, l'agitation persiste, elle ne demande qu'à exploser. Ici ou là, on amorce des revendications, on prépare des grèves, peut-être du désordre. Et, en tout cas, comment pourrait-on réaliser tout ce qu'il y a à faire s'il fallait se heurter à des difficultés politiques, à un gouvernement composé de bric et de broc, aller vers la dissolution, vers de nouvelles secousses, de nouveaux retards? Alors, croyez-moi, nous nous préparerions un mauvais été, un dangereux automne. Mai 1968, il y a à peine un an, ne l'oubliez pas.

Français, Françaises, je suis un démocrate, je crois être humain et libéral, je crois aussi - et je le dis sans vanité, soyez-en sûrs - être capable de fermeté et l'avoir prouvé pour préparer des lendemains qui peuvent être, qui doivent être heureux mais qui peuvent être dangereux. J'ai l'honneur de solliciter vos suffrages .