Décès de l'ex-président libyen Mouammar Kadhafi
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde

Mouammar Kadhafi
UE
Évincé du pouvoir par un mouvement de contestation armé, l'ex-président Mouammar Khadafi est tué le 20 octobre à Syrte. Un Conseil national de transition (CNT), tenant les rênes du pays depuis août, annonce par la suite la fin de la guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts et de blessés.
Jeune militaire participant au renversement du roi Idris Ier et à la fin de la monarchie, en septembre 1969, Mouammar Kadhafi est l'homme fort de la Libye pendant plus de quatre décennies. Il prône le panarabisme, le panislamisme et le socialisme d'État, puis devient connu à travers le monde pour son support à de nombreuses actions terroristes. Sur le plan intérieur, il se proclame le Guide de la Révolution. Le pays, qui possède d'importantes ressources pétrolières, connaît la prospérité, mais Kadhafi utilise aussi la force pour museler ses opposants. Personnage controversé, difficile à cerner, il est le leader africain au plus long règne lorsque débute la contestation qui embrase le monde arabe à la fin de 2010 et au début de 2011. Elle atteint la Libye à la mi-février. Face aux demandes de réformes démocratiques, le régime répond par la répression. La grogne s'intensifie néanmoins. Les protestataires profitent de l'appui de membres de l'armée et s'imposent dans quelques villes avant que les fidèles de Kadhafi ne regagnent du terrain. Le 17 mars, le Conseil de sécurité des Nations unies autorise une intervention de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord. Elle s'avère décisive, notamment sur le plan aérien, et permet aux rebelles de reprendre l'initiative. Après de violents combats, ils s'emparent de la capitale Tripoli, en août, chassant Kadhafi qui demeure insaisissable. Pendant ce temps, le CNT, présidé par Moustapha Abdeljalil, prend le pouvoir. C'est finalement le 20 octobre que Mouammar Kadhafi est tué aux environs de Syrte, où il s'était réfugié, dans des circonstances nébuleuses. Quelques jours plus tard, le CNT proclame la fin des hostilités. On estime que la guerre civile libyenne a fait plusieurs dizaines de milliers de morts et de blessés de part et d'autre.
Dans les médias...
Tanguy Berthemet, « Les ex-rebelles proclament la libération de la Libye »
«...La guerre a libéré les rancunes macérées pendant 42 années de dictature. Et celles-ci n'opposent pas que les civils et les combattants, les kadhafistes et les révolutionnaires. À Syrte, malgré la victoire, les rebelles venus de Misrata et ceux de Benghazi s'ignorent. Kadhafi disparu, qui unissait contre lui tous les combattants dans une même haine, les divisions risquent d'éclater. (...) le CNT est bien faible pour contenir toutes ces ambitions. L'organe, formé à la va-vite, est une union bancale entre des barons de l'ancien régime, des membres de la société civile plus ou moins reconnus et des islamistes. À l'étranger, son image est entachée par les conditions sulfureuses de la mort du Guide et de son fils. À l'intérieur, les critiques fusent, se concentrant sur le premier ministre Mahmoud Jibril, auquel on reproche ses liens passés avec Seïf al-Islam. Il a déjà à plusieurs reprises annoncé sa démission, sans en rien faire. Les milliers d'hommes armés que compte désormais le pays représentent enfin le plus grand risque. Rien ne pourra se faire sans un désarmement, a ainsi reconnu Mahmoud Jibril. Mais les combattants, qu'aucun commandement central ne contrôle vraiment, n'obéissent pour la plupart qu'à leurs chefs directs, tous plus ou moins rivaux. »
Le Figaro (France), 24 octobre 2011, p. 6.
Christophe Ayad, « L'événement : La fin de Mouammar Kadhafi »
«...Autre défi majeur, la mise sur pied d'une justice rapide mais respectueuse des droits de l'homme. Si la mort de Mouammar Kadhafi, qui s'apparente à une exécution extrajudiciaire, évite un procès potentiellement dévastateur à la société libyenne comme à la communauté internationale, des centaines de combattants pro-Kadhafi sont menacés d'une justice tout aussi expéditive. Sans compter les milliers d'Africains arrêtés sur le simple soupçon d'avoir servi comme mercenaires et soumis à la torture, comme l'a dénoncé Amnesty International dans un rapport. Huit mois, c'est à l'évidence trop court pour mettre sur pied un cadre adéquat à la tenue d'élections libres dans un pays qui vit depuis quatre décennies sans loi fondamentale, sans presse libre, sans parti, ni association, ni scrutin d'aucune sorte. Qui rédigera la future Constitution ? Sera-t-elle fédéraliste ou centralisatrice ? Enfin, qui contrôlera le gouvernement pendant la période transitoire, alors que les fonds libyens à l'étranger vont être débloqués ? Quelle valeur auront les contrats pétroliers signés par un pouvoir sans légitimité démocratique ? L'apprentissage de la démocratie est un autre genre de bataille : nul n'en connaît la fin. »
Le Monde (France), 22 octobre 2011, p. 4.
Yvon Quiniou, « Retour sur la guerre néocoloniale à laquelle nous avons assisté »
«...En réalité, c'est à une guerre néocoloniale que nous avons assisté, répondant au surplus à un calcul électoral hasardeux de notre président (Nicolas Sarkozy), candidat virtuel à la présidentielle de 2012. Guerre néocoloniale puisqu'il s'est agi pour l'Occident, comme en Irak avant, à la fois de s'assurer la maîtrise directe ou indirecte des richesses pétrolières de la Libye et, plus largement, une position géostratégique dominante dans cette région du globe au service d'avantages économiques plus larges, point essentiel que la référence à la défense des droits de l'homme ne fait que masquer. Il est curieux de constater ainsi que la démocratie dans le monde n'intéresse dans le principe les pays capitalistes que lorsqu'elle favorise leurs intérêts matériels : combien de pays pauvres, dépourvus de ressources exploitables et soumis à des dictatures, sont ainsi abandonnés à leur sort comme si la cause de la liberté était bien à géométrie (économique) variable ! »
dans L'Humanité (France), 24 octobre 2011.
Agnès Gruda, « Les leçons et les périls d'une révolution »
«...La victoire militaire des insurgés libyens soulève des craintes, mais elle inspire aussi quelques leçons. Le soulèvement a commencé quelques jours après la chute d'Hosni Moubarak, en Égypte, et un mois après la fuite du président Ben Ali, en Tunisie. Contrairement à ses voisins, Mouammar Kadhafi a fait le pari de la répression absolue. Et il l'a perdu. Grâce à l'aide de l'OTAN, bien sûr. Mais la victoire d'hier, c'est d'abord celle de tout un peuple qui s'est soulevé contre son tyran. Leçon numéro un: la stratégie de la violence absolue ne suffit pas pour arrêter le cours de l'histoire. À méditer à Damas et à Sanaa... L'autre leçon, c'est qu'une guerre civile qui s'étire n'est pas nécessairement vouée à l'échec. Au cours des derniers mois, les avancées et les reculs des insurgés ont fini par lasser. Puis, il y a eu la chute de Tripoli. Et celle, définitive, de Syrte, où le régime Kadhafi a rendu son dernier soupir. Si la Libye réussit vraiment son virage démocratique, on devra conclure que l'intervention de l'OTAN, malgré ses objectifs changeants et confus, aura été utile, après tout. »
La Presse (Québec, Canada), 21 octobre 2011, p. a19.
« The tyrant is dead »
«...The end of Moammar Gadhafi was not as neat and clean as diplomats and fans of democracy everywhere would have had it. Still there will be no tears shed around here at the death of this tyrant -- a tyrant who threatened to kill his own people in the streets and who did not hesitate to take American lives when it suited his purposes. (...) It is not for us now to second guess the conduct of the long-oppressed people of Libya. And if it makes us uncomfortable to know that Gadhafi's body was paraded on the top of a truck through the streets of Misrata, well, neither did we endure the kind of horror and deprivation endured by the people of that town. What is important is where that former revolutionary force -- now the government of Libya -- goes from here. Overthrowing a tyrant is easy compared to the grueling job of uniting factions into a functioning government that can provide services to people, grow the economy and maintain the rule of law. But the hopes of the world are with the Libyan people. May they at long last know both peace and freedom. »
The Boston Herald (États-Unis), 21 octobre 2011.
Gouvernance et gouvernement [ 20 octobre 2011 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
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![]() | Transition | Mustafa Muhammad Abdul Jalil | Abdul Rahim al-Kib |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).