4 mai 2025
18 avril 2001

Début du « printemps noir » en Algérie

Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde


Manifestation, printemps noir algérien

La mort d'un lycéen par balles dans une gendarmerie de Beni Douala, une commune de Kabylie, en Algérie, déclenche un mouvement de contestation plus large. Il culmine le 14 juin avec une immense manifestation à laquelle participent environ 2 millions de personnes ralliées derrière un ensemble de revendications.

Depuis l'indépendance, les habitants de la Kabylie, une région située dans le nord-est de l'Algérie, expriment de différentes façons leurs revendications auprès du pouvoir central d'Alger. En 1981, par exemple, un mouvement populaire se manifeste lors du « printemps berbère ». Le 18 avril 2001, la mort d'un lycéen par balles dans une gendarmerie de Beni Douala, en Kabylie, suscite de nouvelles protestations. Un Mouvement citoyen des Aarch, à la structure très décentralisée, voit le jour dans ce contexte. Son influence dépasse rapidement celle des partis politiques. Malgré des appels au pacifisme, la mobilisation donne lieu à des actes de vandalisme contre des lieux de pouvoir et à une sévère répression de la part des autorités, faisant des dizaines de morts et des centaines de blessés. Le 14 juin, une marche pacifique, impliquant environ 2 millions de personnes, se met en branle entre la Kabylie et la capitale, Alger. Les meneurs veulent remettre au gouvernement un document contenant une quinzaine de revendications, baptisée la plate-forme d’El Kseur. Celui-ci déborde les questions autonomistes kabyles et touche d'autres demandes : redéfinition du cadre démocratique algérien, amélioration de la justice sociale et de la situation économique, reconnaissance du tamazight comme langue officielle, etc. Cependant, la violence éclate. De plus, les marcheurs ne peuvent rencontrer le président Abdelaziz Bouteflika. Au cours de ce « printemps noir », on recense 126 morts et plus de 5000 blessés. Des violences d'une moins grande intensité perdurent en 2002. Le retour de l'ex-premier ministre Ahmed Ouyahia, en mai 2003, marquera une ouverture à des négociations sur la base de la plateforme d'El Kseur. Elle entraînera des tensions au sein du mouvement de 2001, créant une division entre les membres plus ouverts au dialogue et ceux qui s'y opposent.

Dans les médias...

Hassane Zerrouky, « Partie de Kabylie, la grogne fait des petits »

«...Pour l'heure, le gouvernement ne sait pas trop comment réagir. Après avoir parié sur un hypothétique essoufflement du mouvement de contestation, multiplié les appels au calme, concédé aux jeunes manifestants kabyles l'organisation d'une seconde session du bac en septembre, il se trouve désormais face à un risque d'extension du mécontentement en dehors de la Kabylie, comme ce fut le cas à Khenchela. Le fait que le président Bouteflika ait tardé à prendre la mesure de la gravité de la crise, s'entêtant à n'y voir que l'expression d'un conflit de type identitaire, derrière lequel se profilerait la main de l'étranger, a finalement exacerbé la situation. La manière dont il a réprimé la manifestation de jeudi dernier, à laquelle avait appelé la Coordination nationale de défense des libertés, le fait de vouloir adopter le projet de code pénal - actuellement en discussion au Sénat - a finalement desservi l'image du président Bouteflika auprès d'une large frange d'Algériens. Porté en avril 1999 à la tête de l'État, Abdelaziz Bouteflika était sans doute loin d'imaginer qu'il allait entamer sa troisième année de pouvoir en faisant face à la plus grave crise politique que le pays ait connue depuis 10 ans. D'autant que cette fois-ci, il a affaire à des gens porteurs d'exigences démocratiques et non pas à des islamistes rejetés par la majorité des Algériens. »

L'Humanité (France), 14 juin 2001, p. 13.

José Garçon, « Les Kabyles dopés par la marche d'Alger »

«...L'attitude des autorités au cours de la fameuse marche a mis de l'huile sur un feu qui n'en avait guère besoin. Alors que les témoignages s'accumulent sur leur volonté de la faire dégénérer et de susciter la haine entre les habitants de Kabylie et le reste du pays, la presse privée du week-end dénonce, unanime, «la manipulation dangereuse» et constate que «le pouvoir est prêt à tout pour entraîner le pays dans la guerre civile» (El Watan). «Le dérapage d'Alger a creusé le fossé entre le pouvoir et ses contestataires, remarque le Quotidien d'Oran. Il a conforté l'extrémisme dans un mouvement qui, jusque-là, s'efforçait d'en brider les manifestations. La tournure prise par la marche d'Alger démontre que des forces s'activent à semer les germes d'une lutte fratricide. Pouvoir et coordination des arch (tribus, qui avaient appelé à la manifestation de jeudi, ndlr) sont responsables de leur avoir donné l'occasion d'en faire la démonstration.» Ces accusations ont contraint Alger à tenter de se justifier par la voix de son ministre de l'Intérieur, Yazid Zehrouni, qui a accusé les organisateurs de la marche de «l'avoir laissé infiltrer par des casseurs». Une responsabilité que les arch rejettent. »

Libération (France), 18 juin 2001, p. 9.

Marwane Ben Yahmed, « Jusqu'où iront-ils ? »

«...le régime semble impuissant, incapable de trouver les mots qui font mouche. Mutisme ou autisme, la communication du gouvernement est, une nouvelle fois, déficiente. Cela ne veut pas dire qu'il ne travaille pas à la résolution de la crise, mais ce qu'attendent des millions d'Algériens, c'est un signal fort du chef de l'État. Dans ses discours du 30 avril et du 27 mai, celui-ci a bien fait quelques concessions aux revendications identitaires kabyles, mais sur le terrain, aucune avancée n'est visible. En fait, un dialogue semble s'être instauré entre le « pouvoir » et le peuple. Bouteflika a jusqu'au 25 juin, date du troisième anniversaire de l'assassinat de Matoub Lounès, le chantre de la cause kabyle, pour répondre aux revendications des 'Arouch : prise en charge des victimes de la répression, octroi du statut de martyrs aux victimes, consécration du tamazight comme langue nationale, fin de l'Exclusion et de l'arbitraire, respect des libertés démocratiques... Quelle solution ? Certainement pas le recours à la force. Le temps n'est plus où, comme en octobre 1988, l'armée pouvait tirer sur la foule. La répression, longtemps brandie comme la solution miracle, n'a plus aucune chance de ramener le calme. Au contraire, les conséquences d'une telle décision seraient susceptibles de plonger l'Algérie dans la guerre civile. »

Jeune Afrique L'intelligent (France), 19 au 25 juin 2001, p. 12.

Simon Malley, « Colère et intox »

«...Depuis le temps qu'ils attendent que les choses changent, on ne peut que comprendre l'impatience et l'exaspération des jeunes devant une situation qui leur semble figée, immobile, sans issue. Mais on ne peut les suivre lorsqu'ils dirigent leur colère sur les tenants actuels de l'autorité, dédouanant du même coup tous ceux qui les avaient précédés durant les vingt dernières années, et qui sont à l'origine de la tragédie sanglante que vit l'Algérie depuis une décennie. Ils ont joué les demiurges, en dressant les Algériens les uns contre les autres dans une guerre fratricide, qui a fait plus de cent cinquante mille morts et des dizaines de milliards de dollars de dégâts. Et lorsque les événements leur ont échappé, ils se sont réfugiés dans une abominable fuite en avant, s'engageant de plus en plus aveuglément dans des politiques sécuritaires et éradicatrices à très courte vue. Entre-temps, des richesses énormes étaient dilapidées et des capitaux étaient expatriés par millions de dollars. La population, prise dans l'étau, vivait, elle, dans la terreur et souffrait le martyre. Les Algériens, jeunes et moins jeunes, paient aujourd'hui pour ces erreurs stratégiques, dont les autorités actuelles ne sont nullement responsables. »

Le Nouvel Afrique Asie (France), juillet-août 2001, p. 26.

Gouvernance et gouvernement [ 18 avril 2001 ]

Pays Niveau de démocratie Chef de l'État Chef du gouvernement
flagAlgérieFaibleAbdelaziz BouteflikaAli Benflis

Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).

Évolution des composantes du système politique

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