Démission du président de la Géorgie, Edouard Chevardnadze
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde

Edouard Chevardnadze
La contestation qui suit les élections législatives du 2 novembre 2003 alimente un mouvement de protestation qui s'amplifie dans les semaines qui suivent. Pressé par des opposants, qui interviennent brusquement au Parlement le 22 novembre, le président Edouard Chevardnadze quitte ses fonctions le lendemain.
Edouard Chevardnadze, un ex-ministre des Affaires étrangères de l'Union soviétique (URSS) sous Mikhaïl Gorbatchev, dirige la Géorgie à partir de 1992. Il est élu à la présidence en 1995 et 2000, lors de scrutins sans véritable opposition. Une économie chancelante et des accusations de corruption contribuent à créer des dissensions au sein de son parti, l'Union des citoyens de Géorgie (UCG). Plusieurs membres influents quittent pour fonder d'autres formations. Un de ceux-là est son ex-ministre de la Justice, Mikheil Saakashvili, qui dirige le Mouvement national. Le 2 novembre 2003, l'UCG arrive en tête lors des élections législatives. Clamant des irrégularités, l'opposition s'organise. Des manifestations ont lieu dans les rues de la capitale, Tbilisi, et d'autres villes, demandant le départ de Chevardnadze. Le 22 novembre, des opposants au régime investissent le Parlement, interrompant le président qui quitte les lieux entouré de ses gardes du corps. Il démissionne le lendemain, à la suite d'une rencontre avec les chefs de l'opposition. Cette annonce est suivie par d'importants rassemblements de joie dans les rues. Saakashvili remporte une victoire écrasante lors de la présidentielle du 4 janvier 2004, alors que le Mouvement national - Démocrates, qui l'appuie, fait de même aux législatives du 28 mars. Selon des analystes, malgré la réaction populaire, cette « révolution des roses » s'explique en grande partie par le rôle qu'auraient joué des intérêts étrangers, particulièrement américains. L'arrivée au pouvoir de Saakashvili, un jeune politicien pro-occidental qui a déjà étudié aux États-Unis, est d'ailleurs suivie par un rapprochement marqué avec l'Occident dont Chevardnadze s'était quelque peu détourné depuis quelques années. La Géorgie constitue un enjeu stratégique important pour plusieurs pays, particulièrement en ce qui a trait à l'approvisionnement pétrolier.
Dans les médias...
Bernard Bridel, « La Géorgie entre dans le siècle du bonheur et de la liberté »
«...Les Géorgiens ont oublié qu'Edouard Chevardnadze, qui a dominé la vie politique de la Géorgie depuis les années 1970 et jusqu'à sa démission forcée dimanche, avait su, du temps de l'URSS, faire de la petite république soviétique du Caucase un îlot de bien-être, et qu'il fut l'un des principaux artisans de la perestroïka. Ils ne gardent en mémoire que la corruption massive engendrée par son système de pouvoir et la lassitude de vivre depuis dix ans souvent sans électricité, pendant des mois sans salaire, ou avec une retraite de misère. La Géorgie se sent libérée. «Les voix, qui avaient été ignorées et volées lors des législatives (du 2 novembre), sont finalement reconnues», dit Oumar, hilare. La falsification du scrutin, dénoncée par l'opposition radicale, a été l'un des principaux moteurs de la mobilisation de la population. Et, de mémoire de Géorgiens, Tbilissi n'avait jamais vu une si grande manifestation que celle organisée samedi. 50 000 personnes, 100 000, et même peut-être plus. L'opposition, sans résistance des forces de l'ordre, a pris le contrôle du parlement, du siège de la présidence, pour finalement obtenir le départ du chef de l'État. »
Le Temps (Suisse), 24 novembre 2003.
Patrick de Saint-Exupéry, « Une terre de conflits sur la route de l'or noir »
«...Le pouvoir en Géorgie n'est nulle part. Il est en lambeaux. Depuis au moins un an. La présidente du Parlement, Nino Bourdjanadze, aujourd'hui proclamée présidente par intérim, le confiait au Figaro voici dix-huit mois : « Si la Géorgie était forte, la Russie ne pourrait pas se permettre de parler comme cela. « Cela », en l'occurrence, désignait une remarque de l'ambassadeur de Russie en Géorgie. Interrogé sur la réalité d'un bombardement de la chasse russe dans le nord du pays, le diplomate avait eu cette réponse : « Ce n'est pas vrai qu'il y a eu un bombardement. La preuve, il n'y a pas de victimes ! » Aujourd'hui, l'opposition a détrôné Chevardnadze. Et alors ?... Alors, c'est simple : la bataille risque de se déclencher une fois l'opposition installée aux commandes à Tbilissi. La menace dans la crise géorgienne n'est ni dans l'avant ni dans le pendant. Elle est dans l'après. On la voit poindre doucement. Et il ne faut pas se leurrer : si Igor Ivanov, le ministre russe des Affaires étrangères, s'est rendu de toute urgence à Tbilissi, c'est pour tenter d'y négocier un ultime compromis avant que la mécanique de l'affrontement ne se déclenche. Car Moscou ne cédera pas et n'a aucune raison de céder. C'est ce qu'il faut retenir de la diplomatique déclaration qu'a fait le ministre russe des Affaires étrangères à son arrivée à Tbilissi : « La Russie ne veut pas s'immiscer dans les affaires internes de la Géorgie », a-t-il dit, mais n'est « pas indifférente à son sort ». »
Le Figaro (France), 24 novembre 2003, p. 3.
David Alexandre, « Kaléidoscope »
«...Dans l'affrontement qui s'annonce, on voit mal le rôle de l'Union européenne qui souhaiterait intégrer la Géorgie dans sa mouvance et cherche pour cela à atténuer, en les poliçant, la vigueur des rivalités nationales et internationales qui risquent de s'y déchaîner. Car Washington observe la Géorgie d'un point de vue tout à fait différent de celui de la Russes. Pour lui, la dépression de Transcaucasie met en communication la mer Noire et la mer Caspienne, et la Géorgie s'y situe dans le prolongement de l'Azerbaïdjan (...) Ce n'est donc pas un hasard si la visite de (Donald) Rumsfeld en Géorgie a été précédée, deux jours plus tôt, d'une escale azerbaïdjanaise. Car, pour les Américains, le couloir transcaucasien est l'un des tracés privilégiés pour l'évacuation du pétrole et du gaz de la Caspienne et c'est aussi l'une de leurs voies d'accès vers l'Asie centrale, en conjonction avec l'Afghanistan. Et, tandis que ce pays leur sert de base pour le refoulement de la Russie hors de son domaine d'expansion centrasiatique, le contrôle de l'axe Géorgie-Azerbaïdjan leur permettrait de lui interdire tout contact direct avec le Proche-Orient, la rejetant au nord du grand Caucase et éventuellement au-delà. Il est donc important pour eux de « sécuriser » à leur profit la Géorgie. »
Le Nouvel Afrique-Asie (France), février 2004, p. 46-47.
Pierre Jolicoeur, « Le casse-tête géorgien »
«...Tant que les forces centrifuges tendant à faire éclater la Géorgie seront toujours à l'oeuvre, la stabilité intérieure constituera un immense défi. En plus des difficultés à consolider leur pouvoir au lendemain de la démission de Chevardnadzé (la liste des ministres, des gouverneurs et d'autres dirigeants qui démissionnent en signe de contestation depuis trois jours ne cesse de s'allonger) et des défis sociaux et économiques déjà nombreux en Géorgie, les nouveaux dirigeants de Tbilissi devront faire preuve de beaucoup de finesse pour éviter l'éclatement de leur État. L'opposition qui a réussi à faire tomber le président géorgien, jugée plus radicale que ce dernier dans son orientation pro-occidentale et antirusse, est constituée de ses anciens alliés qui s'en étaient éloignés depuis quelques mois. Reste à savoir s'ils auront la même capacité que Chevardnadzé, un habile politicien, à jouer d'équilibre sur le fil tendu des rivalités américano-russes au Caucase tout en préservant l'intégrité territoriale de la Géorgie. »
Le Devoir (Québec, Canada), 28 novembre 2003, p. A9.
S.A., « Exit Shevardnadze »
«...He survived several attempts on his life and made a narrow escape when the province of Abkhazia fell to rebels in 1993. He also had to deal with secessionists in South Ossetia, with Chechen rebels who used northern Georgia as a staging area, and with massive corruption at home. Russia, angered by the safe haven Chechen warlords found in the Pankisi Gorge and by an American-sponsored project to build an oil pipeline through Georgia, did nothing to make Shevardnadze's life easier. In the end, Shevardnadze fell because he found no answer to these problems, while Georgia's economy slid inexorably downward. It is unlikely to be of any consolation that he is not alone: with the exception of the Baltic states, no former Soviet republic has found a satisfactory path to independence. At least Shevardnadze did not choose the path of dictatorship that most Central Asian leaders took, and left with his head held reasonably high. The question now is whether his euphoric successors will do any better. The basic problems are all still there, best visible in the rusting, abandoned Soviet factories. »
International Herald Tribune (France - États-Unis), 26 novembre 2003, p. 8.
Gouvernance et gouvernement [ 23 novembre 2003 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
---|---|---|---|
![]() | Faible | Nino Burdzhanadze | Zurab Zhvania |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).