Assassinat du premier ministre espagnol Luis Carrero Blanco
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde

Luis Carrero Blanco
Six mois après avoir été fait premier ministre de l'Espagne, Luis Carrero Blanco est tué à Madrid dans l'explosion d'une bombe qui soulève sa voiture. L'attentat est revendiqué par l'Euskadi ta Askatasuna (ETA), une organisation marxiste, opposée au président Francisco Franco, qui lutte pour l'indépendance du Pays basque.
L'ETA, qui signifie Pays basque et liberté, est un groupe actif depuis juillet 1959. Dans sa lutte pour l'indépendance et contre le régime de Franco, cette organisation révolutionnaire marxiste se tourne vers des actions violentes au cours des années 1960. Le meurtre d'un chef de police, le 2 août 1968, contribue à sa notoriété. Le 20 décembre 1973, l'ETA frappe un grand coup. Une puissante bombe placée sous la rue Claudio Cuello, à Madrid, fait exploser la voiture du premier ministre, l'amiral Luis Carrero Blanco, alors que celui-ci revient de la messe avec ses gardes du corps. Le choc est à ce point violent que la voiture de Blanco, décédé sur le coup, fait plus de 30 mètres dans les airs. L'ETA, qui ne prévoyait à l'origine qu'enlever le chef du gouvernement, revendique cet attentat qui constitue un coup d'éclat. Le premier ministre, qui avait succédé à ce poste à Franco, toujours le chef de l'État, le 8 juin 1973, est en effet considéré comme un des hommes les plus loyaux au président et un partisan des mesures répressives. Plusieurs perçoivent aussi ce farouche anticommuniste comme celui qui va assurer la continuité du Caudillo vieillissant, bien que ce dernier ait annoncé en 1969 que c'est Juan Carlos, petit-fils du dernier roi d'Espagne, Alphonse XIII, qui le remplacera à la tête de l'État. Au fil des ans, différentes hypothèses seront formulées relativement à la complicité possible d'autres groupes dans cet attentat spectaculaire (communistes, Central Intelligence Agency, etc.). Après le court intérim de Torcuato Fernandez-Miranda, c'est Carlos Arias Navarro, le ministre de l'Intérieur, qui devient premier ministre. Il laisse entrevoir des ouvertures démocratiques qui seront toutefois largement inachevées lorsque Franco meurt, en novembre 1975.
Dans les médias...
Jean Irigaray, « Lettre de Bayonne »
«...« Carrero, youpi ! Qui le prochain ? » L'auteur de cette inscription, lue sur un mur de Bayonne, ne doute pas de l'efficacité de l'attentat politique. Tout le monde ici, ne partage pas son allégresse. Cet acte meurtrier a heurté la conscience de beaucoup, mais il a été compris. Cinq Basques sont tombés cette année au Sud, sous les balles de la police espagnole. D'autres ont été emprisonnés, torturés, ou ont dû s'exiler. Les personnes les moins politisées, celles qui réagissent uniquement par conviction morale, admettent la légitime défense. Une question posée par une dame catholique et conservatrice m'a étonné : « Pourquoi parle-t-on de Carrero Blanco uniquement et pas ceux qui ont péri en même temps que lui ? » Une vie vaut une autre vie. On commence à comprendre que ce qui se déroule en Espagne est une guerre véritable, très différente des luttes que nous connaissons. Que ceux qui s'engagent au nom des libertés syndicales, politiques ou culturelles, traqués, n'ont pas le choix de leurs armes. (...) Le cercle de la violence est fatal et le nouveau gouvernement espagnol va le renforcer. L'ETA le sait parfaitement. L'avalanche des mesures répressives qui s'abattra sur le Pays Basque, en France et en Espagne, a été prévue et acceptée en contre-partie d'une radicalisation de la résistance au fascisme et de ses résultats à long terme. »
Esprit (France), février 1974, p. 290-291.
Édouard Bailby, « Franco a perdu son ombre »
«...Dans la capitale où la pluie ne cesse de tomber depuis la veille, l'opposition exulte. L'amiral Carrero Blanco symbolisait le régime, plus encore que le général Franco, aujourd'hui amoindri par l'âge - il a fêté, ce mois-ci, ses 81 ans. L'amiral a toujours préféré l'ombre des cabinets aux honneurs et à la gloire. (...) Peu enclin aux confidences, il a voulu pendant toute sa vie rester l'éminence grise du régime. Il s'est toujours voulu le défenseur intransigeant de l'ordre, le représentant de la vieille Espagne de la croisade, celle de la guerre civile. Hostile à toute libéralisation, il se refusait à toute concession politique pour acheter l'entrée de l'Espagne dans le Marché commun. Sa nomination, en juin 1973, comme président du gouvernement espagnol, le premier depuis la guerre civile, avait signifié la fin de tout espoir d'ouverture. Le prince Juan Carlos, choisi par le Caudillo pour être roi d'Espagne à sa mort, s'en plaignait. Depuis la nomination de l'amiral, ses moindres gestes étaient épiés. À deux reprises, en 1972, le Prince avait tenté d'amorcer un dialogue avec M. Marcelino Camacho, le leader des Commissions ouvrières. L'amiral, mis au courant, en avait aussitôt référé au Caudillo, qui, comme d'habitude, avait hoché la tête en silence. »
L'Express (France), 24 au 30 décembre 1973, p. 60.
Yvon Le Vaillant, « Le « chacal de Malaga » »
«...L'Espagne connaît son nouveau chef de gouvernement : Carlos Arias Navarro, soixante-cinq ans, Castillan né à Madrid. Sa nomination a fait sensation. Personne ne l'attendait. Après l'attentat contre Carrero Blanco, on parlait beaucoup de Navarro dans les milieux politiques espagnols. Mais pour dire qu'il allait « sauter à son tour ». En effet, ministre de l'Intérieur depuis juin 1973, responsable des services de sécurité, il a été incapable de déjouer le complot qui a entraîné la mort de Carrero. Pourquoi, alors, cette promotion soudaine ? Navarro a commencé une carrière de juriste. Mais sa véritable carrière se fera dans les organismes de répression. Pendant la guerre civile, il est procureur de l'État à Malaga. C'est une époque où l'on ne barguigne pas avec les républicains. Navarro en rajoutera en férocité. Il garde un surnom de cette époque : « le chacal de Malaga ». (...) Son nom a été imposé par les durs du franquisme. Il faisait partie du petit cercle restreint des invités du Pardo. Il était relativement familier de Franco. Il était au-dessus des clans et des camarillas. Carrero Blanco était un homme gris : Navarro est l'ombre grise de cet homme gris. Mais dangereux. Sa nomination est signe de durcissement du régime. »
Le Nouvel Observateur (France), 7 janvier 1974, p. 34.
S.A., « Franco Picks a Right-Wing Heir »
«...Despite the political tensions, the country was curiously quiet in the aftermath of Carrero Blanco's murder. Predictions of widespread violence were proved wrong - at least for the moment. « The reaction has shown the maturity of the Spanish people, » trumpeted Madrid's Nuevo Diario. As an exemple to possible trouble-makers, the government gave savage 12- to 20-year sentences to ten leftists convicted of organizing underground labor unions. Th show that the state was secure and that the plot against Carrero Blanco had been uncovered, the Seguridad announced within 48 hours the results of the investigation. It pinpointed six members of the Basque separatist organization, the E.T.A., who it said were involved in the assassination. All had escaped to France, where an E.T.A. spokesman in Paris explained to the daily Figaro : « Our first idea was not to kill Admiral Carrero Blanco, but to kidnap him and exchange him for our political prisoners. El Caudillo doesn't interest us any longer. An attempt against him would have made sense 30 years ago. We wanted now to demolish the edifice provided for the succession, and I think we succeeded. »
Time (édition canadienne), 7 janvier 1974, p. 42.
Gouvernance et gouvernement [ 20 décembre 1973 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
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![]() | Faible | Francisco Franco Bahamonde | Carlos Arias Navarro |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).