Émeute à Sharpeville, en Afrique du Sud
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde
Une manifestation se déroulant près du poste de police de Sharpeville, à 50 kilomètres au sud de Johannesbourg, en Afrique du Sud, dégénère en émeute. Les tirs des policiers font 69 morts et quelques centaines de blessés chez les protestataires, des Noirs contestant le port obligatoire d’une carte d’identité imposée par les autorités blanches.
Les pratiques ségrégationnistes (apartheid) à l’endroit de la majorité noire deviennent des lois en 1948 à la suite de l’élection du Parti national de Daniel Malan. Elles se poursuivent sous le gouvernement du premier ministre Hendrik Verwoerd, au pouvoir en 1958. L’opposition s’organise au sein du Congrès national africain (CNA) ainsi que du Congrès panafricain (PAC) de Robert Sobukwe, considéré comme plus radical. Les deux dénoncent notamment l’obligation faite aux Noirs de porter une carte d’identité servant à contrôler et à limiter leurs déplacements (pass laws). Le 21 mars 1960, dans le cadre d’une protestation devant durer 5 jours, des activistes du PAC rassemblent plusieurs milliers de personnes devant le poste de police de Sharpeville. Leur objectif est de se faire arrêter pour refus de porter leur carte, ce qui causerait un surpeuplement des prisons et ralentirait l’économie. D’abord non-violente, la manifestation dégénère. Des pierres auraient été lancées vers les policiers qui ouvrent le feu sans avertissement. En quelques minutes, 69 personnes sont tuées et quelques centaines blessées, plusieurs par des tirs les atteignant alors qu’elles fuient. Cette émeute est suivie par d’autres altercations à Langa, faisant 3 morts et quelques dizaines de blessés. L’état d’urgence est décrété, des milliers d’arrestations effectuées et le PAC et le CNA sont bannis. Les événements de Sharpeville attireront au gouvernement sud-africain une importante réprobation sur la scène internationale. Ils provoqueront aussi une radicalisation des opposants à l’apartheid dans le pays. Sharpeville deviendra un symbole de la lutte pour l’émancipation des Noirs. D’autres incidents violents s’y produiront en 1985 et, le 10 décembre 1996, c’est dans cette ville que le président Nelson Mandela promulguera la nouvelle Constitution du pays mettant fin au régime d'apartheid. Par ailleurs, le 21 mars deviendra un jour férié, celui des droits de l’homme, en Afrique du Sud.
Dans les médias...
Go Mandesloot, « La révolte des fils de Cham »
«...Fin mars, le docteur Verwoerd disait encore que les relations entre blancs et non-blancs étaient « meilleures que jamais ». Pourtant la semaine sanglante a eu lieu, et le monde a le sentiment qu’il vient d’assister au 1905 sud-africain. Les milliers d’arrestations, les 30.000 noirs passés par le fouet, tout cela n’a pas empêché de nouveaux appels à la grève générale, le 19 avril, contre les laissez-passer. L’ordre de grève, il est vrai, n’a été que partiellement suivi, ce qui indique l’efficacité des mesures policières; mais qui doute que le gouvernement sud-africain n’ait obtenu là qu’un sursis? Comment l’Union Sud-Africaine en est-elle arrivée là? Comment le monde réagira-t-il? Le conflit qui ensanglante ce pays est le conflit de notre époque; il est celui qui oppose les peuples nantis, qui sont blancs, aux peuples dénués, qui sont les peuples de couleur, de sorte qu’une guerre civile dans l’Afrique du Sud déclenche des passions dépassant de loin les antagonismes sociaux. »
Les Temps modernes (France), avril 1960, p. 1635.
S.A., « Les Noirs d’Afrique du Sud et nous »
«...Nous avons déploré plus d’une fois le fait que la Belgique, à l’O.N.U., se soit régulièrement trouvée avec les nations qui s’opposaient à ce que soit mis à l’ordre du jour la discussion du régime de l’Apartheid en Union Sud-Africaine. Aussi, est-ce avec soulagement que nous avons appris, lors du récent débat au Conseil de Sécurité, que la Belgique, pour la première fois, s’est abstenue. C’est déjà un progrès que de ne plus soutenir, - sous prétexte qu’il s’agit d’un problème intérieur qui ne concerne pas l’O.N.U., - un régime aussi attentatoire au respect de l’homme que celui qui est fait en Afrique du Sud aux Noirs et aux métis. Mais pouvons-nous nous contenter de l’abstention? Avons-nous le droit de rester passifs? Il nous semble que les tragiques événements qui troublent à l’heure actuelle l’Afrique du Sud, nous imposent un examen de conscience sérieux. Il n’y a pas de doute qu’à la prochaine session de l’O.N.U., les pays afro-asiatiques demanderont que soit mis à l’ordre du jour la discussion du régime de discrimination raciale en Afrique du Sud. À notre avis, la Belgique manquerait gravement à son devoir si elle ne soutenait pas ce vœu. »
La Revue nouvelle (Belgique), mai 1960, p. 527.
Pierre Chauleur, « Tragédie en Afrique du Sud »
«...pour éviter les révolutions, il faut que les responsables prennent conscience de leurs devoirs. C’est en eux que les Africains du Sud doivent trouver de nouvelles normes de justice. Ils doivent non seulement supprimer l’apartheid systématique, mais, après de sévères méditations, fixer les conditions et les délais de l’accès des Bantous à des responsabilités politiques. Il est vrai qu’historiquement les Afrikanders ont des droits, mais le droit n’est pas immuable et les situations évoluent dans des directions qui ne sont pas toujours celles de Codes périmés. En un mot, il faut que les décisions soient prises en fonction des principes chrétiens, ce qui n’empêche pas – étant donné les circonstances – de les appliquer sans précipitation, avec méthode et lucidité. »
Études (France), juin 1960, p. 353.
S.A., « South Africa : The Sharpeville Massacre »
«...All South Africa was stunned by the sudden bloodshed that had always been implicit in Verwoerd’s unrelenting policies. The English-Language Johannesburg Star assailed the government’s « pathetic faith in the power of machine guns to settle basic human problems, » and the Anglican Bishop of Johannesburg appealed « to all those in South Africa who have any human feelings » to stop the police tactics. More than 500 white students at the University of Natal, carrying banners reading HITLER 1939, VERWOERD 1960, assembled on campus to lower the British and South African flags to half-mast. But in the rest of Africa and throughout the world, the reaction was even angrier. Liberia’s President William Tubman called the Sharpeville massacre « the vilest, most reckless and unconscionable action in history. » [...] Nowhere in the world did a single government side with South Africa. »
Time (édition canadienne), 4 avril 1960, p. 25.
Gouvernance et gouvernement [ 21 mars 1960 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
---|---|---|---|
![]() | Intermédiaire | Charles Robberts Swart | Hendrik Frensch Verwoerd |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).