Assassinat du président et du premier ministre de l’Iran
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde
L’Iran connait une grande période d’instabilité en 1981. Au conflit avec l’Irak s’ajoutent la destitution du président Abolhassan Bani Sadr, le 22 juin, qui semble consolider le régime, mais aussi les assassinats de dirigeants comme le chef du pouvoir judiciaire, Mohammad Beheshti, le premier ministre Mohammad Javar Bahonar et le président Mohammad Ali Rajai.
Le départ du shah Mohammad Reza Pahlavi, le retour de l’ayatollah Rouhollah Khomeiny et la proclamation de la révolution islamique, le 1er avril 1979, marquent un tournant historique en Iran. La crise des otages américains (novembre 1979-janvier 1981) et le début de la guerre avec l’Irak (septembre 1980) ajoutent au climat d’instabilité qui se poursuit en 1981. Sur le plan politique, un bras de fer se livre entre les leaders religieux et les opposants au pouvoir théocratique, comme l’Organisation des moujahiddines du peuple iranien (OMPI). Après avoir combattu le shah avant 1979, ceux-ci prônent un « islam chiite moderne » et sont en lutte contre le pouvoir théocratique. La destitution et l’exil du président Abolhassan Bani Sadr (22 juin 1981), perçu comme un allié de l’OMPI, intensifient cette rivalité. Un attentat contre l’ayatollah Ali Khamenei, un proche de Khomeiny, échoue. Le 28 juin, un attentat à la bombe non revendiqué, mais attribué par plusieurs à l’OMPI, fait plus de 70 morts au siège du Parti de la république islamique, devenu la seule formation autorisée. Du nombre, l’ayatollah Mohammad Beheshti, considéré comme le numéro 2 du régime. Le 30 août, une autre bombe fait 5 morts et 15 blessés dans l’édifice du premier ministre Mohammad Javar Bahonar, à Téhéran. Une autre victime est le président récemment élu Mohammad Ali Rajai. Dans les deux cas, les auteurs présumés sont des membres de l’OMPI, ce qui incite plusieurs à penser qu’ils ont eu des complices pour déjouer les mesures de sécurité. Le chef de l’État et du gouvernement seront remplacés par deux autres personnes favorables à la république islamique, en attendant la tenue d’élections. Une forte répression s’abat par la suite contre l’OMPI. En tout, on comptera des milliers de morts de part et d’autre.
Dans les médias...
Amin Maalouf, « Génocide politique »
«...La redoutable efficacité des attentats de Téhéran est un phénomène sans précédent. Le terme d’assassinat devient impropre; on assiste à un véritable génocide politique, qui fait pendant à celui, plus massif mais moins spectaculaire, pratiqué par le régime à l’égard de ses opposants. Autour de l’ayatollah Khomeiny, un vide vertigineux s’est créé en trois mois par les disparitions successives de l’ayatollah Behechti, chef du Parti de la république islamique, de M. Rajaï, chef de l’État, ainsi que du Premier ministre, du procureur général, du commandant de la police et de dizaines de ministres, de députés et de hauts fonctionnaires. S’il ne s’agissait que de remplacer des hommes, ce vide aurait pu être comblé. Mais c’est la dignité même du régime et sa crédibilité qui ont été bafouées par l’apparente toute-puissance des poseurs de bombes. Et l’on en arrive à se demander si un gouvernement organisé peut encore exister en Iran à l’heure actuelle. »
Jeune Afrique (France), 16 septembre 1981, p. 38.
Jacques Buob, « Iran : S’il n’en restait qu’un...»
«...La mort d’Ali Radjai et de Javad Bahonar n’a pas réellement décapité le système. Personnages de second plan, ils ne sont pas irremplaçables. Déjà, l’ayatollah Ali Khamenei, ancien imam du vendredi de la grande mosquée de Téhéran, grièvement blessé par un magnétophone piégé qui lui a explosé au visage, a remplacé Bahonar à la tête du Parti de la république islamique et Mahadavi Kani, ex-ministre de l’Intérieur, a été désigné nouveau Premier ministre. Le Président, lui, doit être élu dans les cinquante jours qui suivent la vacance du pouvoir. Dernière personnalité de premier plan encore en vie, l’hodjatoleslam Rafsanjani serait un bon candidat. Déjà sa baraka l’a fait échapper à un attentat l’année dernière. Le 28 juin, il quitte l’immeuble du P.R.I. quelques minutes seulement avant l’explosion meurtrière et, dimanche dernier, il ouvre une séance de l’Assemblée à l’heure de l’attentat. Une baraka qui fait jaser...»
L’Express (France), 11 septembre 1981, p. 53.
Pierre Blanchet, « Téhéran : des attentats de « pros » »
«...Le compte à rebours a-t-il commencé? Est-ce le chant du cygne de cette révolution qui a tant promis et qui a connu la plus sanglante des métamorphoses? Khomeini, qui conduit le bateau ivre de la révolution iranienne sur une mer de sang, est-il fini, comme l’ont dit Chapour Bakthiar et les libéraux et comme le prophétisent aujourd’hui les Moudjahidine du Peuple? Après l’attentat qui, le dimanche 30 août, a coûté la vie au président de la République islamique d’Iran, Ali Radjaï, et à son Premier ministre, Muhammad Djavad Bahonar, on pourrait le supposer. Quatorze des seize premiers compagnons de Khomeini, de ceux qui ont préparé son retour en Iran le 1er février 1979, sont passé à la trappe, assassinés, disparus ou de nouveau exilés : Bazargan, Yazdi, Ghotbzadeh, Bani Sadr, Behechti, Radjaï... Le bilan est saisissant. Et pourtant, il n’est pas sûr, comme l’ont dit les médias occidentaux, que la fin de la République islamique d’Iran ne soit qu’une question de semaines ou de mois. Il fallait être, en tout cas, très habile pour organiser et exécuter un attentat dans les locaux les mieux gardés de Téhéran, dans le bureau même du Premier ministre. »
Le Nouvel Observateur (France), 5 septembre 1981, p. 32.
Henry Muller et al., « Iran : A Government Beheaded »
«...The bomb blast at the Prime Minister’s office was a severe, though not necessarily a mortal, blow to the beleaguered regime of the autocratic 81-year old Khomeini. But it was the most convincing evidence yet that as Iran’s revolution continues to devour itself, the nation may be moving toward civil war. Athough no group publicly admitted responsability for the bombing, a Mujahedin leader emerged as the best organized and the most likely to bid for power in the event of the regime’s collapse. Their leader, Massoud Rajavi, 34, is hardly known abroad – unlike Banisadr, whose escape to France was engineered by the Mujahedin. But with thousands of armed men at his command inside Iran, Rajavi poses the most serious single threat to Khomeini’s Islamic Republic. The attack on the Primer Minister’s office confirmed that the Mujahedin have penetrated the highest levels of the governing hierarchy, including its security apparatus. Indeed, late last week another bomb killed Iran’s general revolutionary prosecutor. Hojjatoleslam Ali Qoddousi, in his office near Tehran’s Qasr prison. Not even Khomeini is safe. »
Time (États-Unis), 14 septembre 1981, p. 44.
Gouvernance et gouvernement [ 30 août 1981 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
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![]() | Transition | Mohammad Ali Hoseyn Khamenei | Mir Hossein Moussavi |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).