Proclamation de l’état d’urgence en Équateur
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde
La décision du gouvernement équatorien d’adopter des mesures d’austérité, dont la suppression de subventions aux carburants fossiles, soulève la grogne au sein de la population. Après avoir répondu à la contestation par l’état d’urgence, le président Lenin Moreno en vient à une entente, le 13 octobre 2019, permettant d’apaiser le climat.
L’arrivée à la présidence de Lenin Moreno, en mai 2017, marque une rupture avec les politiques plus à gauche de Rafael Correa, dont il fut le vice-président de 2007 à 2013. La difficile situation économique, provoquée notamment par la baisse du prix du pétrole, incite Moreno à adopter des mesures d’austérité afin d’obtenir une aide substantielle de 4,2 milliards du Fonds monétaire international. L’annonce d’une suppression des subventions aux carburants fossiles, prévue pour le 3 octobre 2019, entraîne une explosion des prix à la pompe. Le mécontentement gagne rapidement le milieu des transports. Puis, des groupes d’étudiants, des syndicats et le principal porte-parole des peuples indigènes, la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (Conaie), se joignent à la contestation. En Équateur, les Indigènes constituent environ un quart de la population. L’opposition s’organise avec des manifestations, le blocage de rues et l’occupation de champs pétroliers. Elle demande le retour des subventions sur le carburant ainsi que le départ de ministres. Pour sa part, le gouvernement proclame un couvre-feu, l’état d’urgence et, après des manifestations violentes dans la capitale et même au Parlement, déplace son siège de Quito à Guayaquil, plus au sud. Moreno, dont la popularité est en chute, accuse l’ex-président Correa, maintenant en Belgique, et le leader vénézuélien Nicolas Maduro d’être derrière ce chaos. Il en vient à une entente avec la Conaie le 13 octobre, en partie grâce à la médiation de l’Église et des Nations unies. Les subventions sur les carburants sont restaurées, mais les deux parties s’entendent pour discuter afin de trouver une solution à l’endettement du pays. En tout, on estime que les troubles ont fait quelques morts, mais aussi plus de 1300 blessés et 1200 arrestations.
Dans les médias...
Romaric Godin, « L’Équateur est dans une impasse économique »
«...Comme le gouvernement Moreno avait exonéré les plus riches de taxe carbone, les quelques aménagements pour les plus pauvres n'ont pas été compris. Le montant de ces subventions, 1,7 milliard d'euros, représentait donc un transfert vers le budget des ménages. C'est bien pour cette raison que la colère des plus pauvres, à commencer par les autochtones, hostiles depuis des années au régime en place à Quito, a éclaté. La crise équatorienne est donc le fruit à la fois de l'échec du corréisme, de son incapacité de sortir de la double dépendance dollar-pétrole et du tournant du gouvernement Moreno en faveur des intérêts des élites économiques. Compte tenu de la situation du pays, la victoire des insurgés ne pourrait donc bien être que temporaire. L'essentiel du paquet du FMI demeure d'actualité et le décret devra être remplacé par un autre, avec le même objectif d'économies. De façon globale, la libéralisation engagée par Lenín Moreno exerce une pression énorme sur les ménages qui devront ajuster leur demande aux sorties de dollars. Le piège de la dollarisation extractiviste s'est refermée sur l'Équateur. »
Mediapart (France), 15 octobre 2019.
Marie Delcas, « En Équateur, « c’est tout l’accord avec le FMI » qui est contesté »
«...Au-delà de la question ponctuelle du prix de l'essence, « c'est tout l'accord avec le FMI » qui est contesté rappelle Jaime Vargas, président de la Conaie. Le chèque du FMI est, en effet, assorti d'autres conditions, comme la division par deux des vacances des fonctionnaires, la réduction de certains impôts et taxes, une réforme du droit du travail, avec la mise en place de nouveaux contrats, notamment des contrats temporaires sans minimum de durée, qui peuvent être par heure. « Aucun pays au monde ne recourt au FMI de gaieté de coeur, rappelle José Hidalgo, directeur du Cordes, le centre d'études pour le développement. Selon lui, « le rythme de croissance de la dette publique équatorienne est devenu insoutenable, le pays peine à se financer sur les marchés internationaux depuis plusieurs années, et le gouvernement n'a d'autre choix que d'emprunter auprès du FMI. Le recul du gouvernement sur la hausse du prix de l'essence va-t-il remettre en question l'accord avec le FMI ? « Le calendrier des réformes dont dépend le déboursement des fonds promis devra évidemment être renégocié, répond M. Hidalgo. Mais il est permis de penser que le FMI va se montrer conciliant et accepter d'assouplir ses conditions. »
Le Monde (France), 17 octobre 2019.
Gilles Biassette, « Une vague de contestations secoue l’Amérique latine »
«...Après une quinzaine d'années de ciel bleu, longue embellie économique portée, en grande partie, par l'ami chinois, consommateur jamais rassasié de ressources naturelles sud-américaines (soja, viande, minerais, hydrocarbures, etc.), l'Amérique latine est à nouveau gagnée par la frustration et le mécontentement. L'Équateur a allumé la mèche, le Chili a soufflé sur ses braises. À Quito comme à Santiago, des scènes d'émeutes rappelant des souvenirs anciens s'affichent sur les écrans de télévision. Des images montrant des militaires patrouillant dans les rues voisines du palais de la Moneda, pour la première fois depuis le retour de la démocratie, évoquent un passé plus lointain encore, datant des heures les plus sombres du Chili. L'Amérique latine de 2019 n'a pourtant rien à voir avec celle des années 1970, ni même avec celle du début du XXIe siècle, quand la décennie 1990, sur fond de privatisations et coupes budgétaires, avait entraîné une vague de contestation, et un virage à gauche. Mais l'Équateur, le Chili et l'Argentine, où la colère devrait s'exprimer dimanche dans les urnes, ont un point commun: l'alternance politique vécue récemment par ces pays s'est traduite par des mesures d'austérité - mesures impopulaires mais rendues nécessaires, aux yeux des gouvernements nouvellement installés, par la fin de l'euphorie qui avait accompagné la naissance du siècle. »
La Croix (France), 23 octobre 2019, p. 2 et 3.
Gideon Long, « Protests force Ecuador leader to flee capital »
«...The election of Mr Correa in 2006 saw stability restored. He rose to power on Latin America's "pink tide" of leftist leaders inspired by Hugo Chávez in Venezuela. But while he brought calm, he also left the country heavily indebted to China. Mr Moreno, confined to a wheelchair since being shot during a robbery, succeeded Mr Correa in 2017 and has started unravelling his leftwing legacy. Mr Correa, who lives in exile in Belgium, has branded the president "a traitor". As part of his shift to the centre, Mr Moreno turned to the IMF, borrowing $4.2bn as part of an overall $10.2bn plan involving other multilateral lenders. The IMF is urging Ecuador to turn its fiscal deficit into a surplus by next year and cut debt. While the programme has gone smoothly, it now faces its biggest test. "Sooner or later, Ecuador had to bite the bullet," said Ramiro Crespo, an Ecuadorean fund manager and head of Analytica Investments in Quito. The fund has backed Mr Moreno, but Conaie was clear: "Our fight is to get the IMF out of Ecuador," it said this week. » »
Financial Times (Royaume-Uni), 9 octobre 2019, p. 6.
Gouvernance et gouvernement [ 3 octobre 2019 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
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![]() | Limité | Lenín Moreno |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).