2 avril 2025
15 avril 1946

Publication du livre « J’ai choisi la liberté! » de Victor Kravchenko

Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde


Un an après la fin de la guerre en Europe, alors que la guerre froide se profile, Victor Kravchenko, un dissident soviétique, lance le livre « J’ai choisi la liberté! » Il y dénonce la répression exercée sous le régime de Joseph Staline, suscitant l’ire des communistes, notamment en France où son ouvrage sera au cœur d’un procès très médiatisé.

Des critiques avaient été exprimées au cours des années 1930 et 1940 à l’endroit du régime soviétique, notamment par les écrivains André Gide (« Retour de l’U.R.S.S. ») et Arthur Koestler (« Le zéro et l’infini »). Le livre « J’ai choisi la liberté! La vie publique et privée d’un haut fonctionnaire soviétique » (I chose liberty!), qui est publié en avril 1946, amène une autre dimension. Il est l’œuvre de Victor Kravchenko, un fonctionnaire soviétique travaillant à New York, qui a fait défection en 1944. À cette occasion, alors que les États-Unis et l’Union soviétique sont alliés, il se livre à une sévère critique de son pays dans le New York Times. Il va plus loin dans « J’ai choisi la liberté! », décrivant à partir de ses propres expériences l’appareil répressif soviétique et ses conséquences (goulags, purges, dérapages du système de collectivisation agricole, famines, etc.). Le livre connait un grand succès aux États-Unis ainsi qu’en France où il parait en 1947. Une revue littéraire près des communistes, Les Lettres Françaises, s’en prend alors à Kravchenko, l’accusant dans un article paru en novembre 1947 d’être un traître à la solde des services secrets américains. Les avocats de Kravchenko réagissent, entraînant un « procès du siècle » qui se déroule à Paris entre janvier et mars 1949. De nombreux témoignages sont entendus, avec en toile de fond la guerre froide et la polarisation croissante entre les superpuissances. Des intellectuels français et d’anciens proches de Kravchenko, dont sa première femme, présentent celui-ci comme un menteur. Le dissident compte pour sa part sur les témoignages de victimes des camps corroborant les informations de son livre. Celui de la journaliste allemande Margarete Buber-Neumann s’avère particulièrement éloquent. Kravchenko remporte ce procès, mais n’obtiendra qu’une somme symbolique. Il publiera en 1950 « I chose justice », qui créera moins de remous.

Dans les médias...

Jean Pouillon, « Le procès Kravchenko »

«...Un long et monotone match de boxe vient de se terminer. Kravchenko a battu aux points les Lettres Françaises. Il n’y a pas eu de K.O. Kravchenko, en effet, n’a pas prouvé la véracité absolue de son livre, les Lettres Françaises n’ont pas montré qu’il n’en était pas l’auteur et qu’il avait menti. Mais, étant donnée la nature du procès, Kravchenko n’avait rien à prouver alors que les Lettres Françaises devaient apporter la preuve de leurs affirmations. D’où le verdict, dont on ne voit pas qu’il eût pu être autre. Le tribunal ne pouvait qu’arbitrer, il ne pouvait (même s’il l’avait voulu) juger au fond, car, à vrai dire, le procès n’avait pas de « fond » : les deux adversaires ne se présentaient pas pour ce qu’ils étaient et ne sollicitaient qu’en apparence une approbation morale; leur seul but était de réduire l’autre au silence. Comme il n’était pas question d’y réussir, on tombait vite dans la propagande : aux journalistes de chaque camp de faire croire à des publics prévenus que leur favori y était parvenu. »

Les Temps modernes (France), mai 1949, p. 954-956.

A.B., « La bonne affaire Kravchenko »

«...Les interminables audiences du procès Kravchenko se sont déroulées dans une atmosphère de scandale, de révélations tragiques et de bouffonnerie judiciaire qui en firent comme une parodie, sur les tréteaux de la foire, du grand affrontement russo-américain. [...] Succession des témoins soviétiques récitant sagement leur leçon. Défilé des témoins antisoviétiques, tirés de leurs camps de personnes déplacées et parlant, les malheureux, selon leur idée fixe, sans bien comprendre que le monde est sourd à leurs griefs. Durant deux heures seulement, la comédie s’est interrompue : lorsque Margaret Buber-Neumann, tranquillement, raconta son histoire, que personne n’osa contester. Il reste ceci encore, ceci du moins, que même dans un monde comme le nôtre, où tout est vicié par les propagandes adverses, le ton de la vérité s’impose; et un témoignage qui n’obéit à aucune propagande est accueilli soudain dans le silence d’un instant soustrait au vacarme et aux impostures antagonistes. [...] En contestant contre toute vraisemblance, que Kravchenko ait écrit son médiocre ouvrage – passible d’une critique interne qui n’avait pas besoin de cette stupide contestation – on lui a donné une publicité inespérée. Il n’y a plus, de tous les côtés, que des dupes dans cette histoire, et des dupes satisfaites. Peu importe le verdict. Chaque camp a tiré, des audiences et des comptes rendus qu’en donnent ses journaux, tout le bénéfice possible et l’occasion d’une propagande tapageuse. Les dupes vraiment dupés, ce sont les braves gens. »

Esprit (France), mai 1949, p. 699-700.

S.A., « L’affaire Kravchenko »

«...À supposer que M. Kravchenko soit l’auteur du livre, ou quel qu’en soit l’auteur, les faits qu’il relate sont-ils exacts? En l’occurrence la question va plus loin : l’appréciation que donne ce livre sur un certain régime politique dans un certain pays est-elle exacte? Remarquons simplement qu’il ne suffit sans doute pas de quelques témoins dans un sens et dans l’autre pour en décider et pour nous permettre de juger d’un régime : il faudrait qu’on permît aux juges un séjour prolongé en toute liberté derrière le rideau de fer pour qu’ils puissent vraiment se faire une opinion. [...] Jusqu’avant la guerre, dans les démocraties occidentales, on considérait toujours l’accusé comme innocent avant la sentence du juge. Sans doute, ici. M. Kravchenko est-il le demandeur, non le défenseur; mais dans une certaine presse on considère que le jugement est déjà rendu contre lui et on le traite d’imposteur à longueur de colonnes. Se rend-on bien compte que, s’il gagne son procès, il aura le droit légal le plus strict de poursuivre en diffamation tous ceux qui ont ainsi préjugé défavorablement de la sentence? »

Études (France), janvier-février-mars 1949, p. 406-407.

Gouvernance et gouvernement [ 15 avril 1946 ]

Pays Niveau de démocratie Chef de l'État Chef du gouvernement
flagÉtats-UnisÉlevéHarry S. Truman
flagRussieFaibleNikolaï ChvernikJoseph Staline
flagFranceTransitionLéon BlumLéon Blum

Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).

Évolution des composantes du système politique

Profil Gouvernants Démocratie Partis politiques
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Chronologie 1944 - 1951




































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