Destitution du président péruvien Martin Vizcarra
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde
Malgré de forts appuis populaires, le président péruvien Martin Vizcarra est destitué le 9 novembre 2020 par une forte majorité de parlementaires qui lui reprochent une affaire de corruption datant de 2014 ainsi que sa gestion de la covid-19. Cette décision est toutefois mal accueillie par une partie de la population qui proteste dans les rues.
Un ingénieur de formation, Martin Vizcarra accède à la présidence du Pérou en mars 2018. Vice-président de Pedro Pablo Kuczynski depuis juillet 2016, il succède à ce dernier qui démissionne à la suite d’accusations de corruption (le scandale Odebrecht). La lutte à la corruption est d’ailleurs un thème central pour Vizcarra. Le 9 décembre 2018, le pays tient un référendum sur des réformes, comme la limitation des mandats des parlementaires et le financement des campagnes électorales, qui obtiennent un appui écrasant. Les élections anticipées du 26 janvier 2020 semblent également favorables à Vizcarra. Elles sont marquées par le recul de Force populaire, le parti qui était majoritaire, au profit de formations centristes plus ouvertes au programme du président. Toutefois, l’opposition parlementaire se manifeste en septembre 2020, alors qu’une procédure de destitution est entreprise contre Vizcarra pour un contrat accordé par le ministère de la Culture à un chanteur peu connu. Le vote reçoit peu d’appuis, mais Vizcarra est de nouveau sur la sellette en novembre, cette fois pour une histoire de pots-de-vin remontant à 2014, alors qu’il était gouverneur de Moquegua. Il aurait reçu à cette occasion 630 000 $ de promoteurs impliqués dans un projet d’irrigation et la construction d’un hôpital. Le président nie, mais est destitué par les parlementaires pour « incapacité morale », 105 voix contre 19, avec 4 abstentions, soit plus que les deux tiers requis. Talonné aussi pour le bilan de la covid-19 au Pérou, un des pires au monde (35 000 morts en octobre 2020), Vizcarra annonce qu’il ne contestera pas ce vote. Le geste des parlementaires est cependant dénoncé par une partie de la population qui s’exprime pour le président dans les sondages et dans les rues. Pour sa part, le président intérimaire, Manuel Merino, appelle à l’unité, mais il démissionne devant les pressions populaires le 15 novembre.
Dans les médias...
Sabine Grandadam, « Le président péruvien destitué par le Parlement mais soutenu par la rue »
«...Tout en acceptant la décision sans introduire de recours, "Vizcarra a souligné que l'on connaîtra bientôt les raisons de fond qui ont motivé le Parlement à le congédier", note El Comercio, qui cite le président déchu lors de son allocution : Toute ma vie, j'ai agi avec transparence et en plaçant mes efforts, mes compétences et mon coeur au service du peuple, vous le savez tous." Certains médias, comme La República, n'hésitent en effet pas à qualifier la destitution de "coup d'État" contre la démocratie : "Un groupe de conspirationnistes au Parlement, avec des relations au sein du système judiciaire et de certains médias, a perpétré un coup d'État pour s'approprier le pouvoir, et en mettant fin à vingt ans de démocratie." Le journal appelle l'opinion publique à résister et dénonce un vote prononcé par des députés pour certains eux-mêmes accusés de corruption par la justice. Au sein du gouvernement, le président du conseil des ministres, Walter Martos, dénonce pour sa part des "négociations" qui auraient eu lieu entre les députés pour emporter le vote. Cité par le portail d'information RPP, il lance : " Ces prochains jours, vous vous rendrez compte, et le peuple se rendra compte, des négociations en sous-main qu'il y a eu [entre les députés]." »
Courrier international, 10 novembre 2020.
François-Xavier Gomez, «Le Pérou, ce pays qui dévore ses présidents »
«...le cas de Vizcarra n'est pas comparable à ceux de ses prédécesseurs: c'est sa croisade anticorruption qui lui vaut l'acharnement des députés, dont 69 sur 130 font l'objet de poursuites. Depuis lundi, les mobilisations se multiplient en défense d'un président à la popularité record. Les manifestants dénoncent le «congrès putschiste» et nient toute légitimité au chef de l'État par intérim, le président du Parlement Manuel Merino, en place jusqu'à la présidentielle prévue en avril. [...] Vizcarra pouvait difficilement résister. Arrivé au pouvoir après la démission de PPK en 2018, il n'appar-tient à aucun parti et ne dispose d'aucun soutien parmi les députés. Après les révélations sur le scandale Odebrecht, la colère de la population était à son comble. Pour restaurer la confiance, le nouveau président avait dissous le parlement et organisé des élections en janvier 2020. Le scrutin est un triomphe pour la droite, avec en tête Acción Popular, le parti du nouveau président Manuel Merino. La gauche du Frente Amplio (front élargi) se contente de 6 % des voix et 9 sièges, alors que fait irruption, avec 15 députés, l'inquiétant Frepap, mouvement piloté par une secte messianique et homophobe. »
Libération (France), 14 novembre 2020, p. 12-13.
Mitra Taj, Anatoly Kurmanaev, « Peru Reels at 4th Leader in 5 Years Amid Tumult »
«...Mr. Vizcarra's political undoing has been partly of his own doing. By limiting the lawmakers' time in office to one term in an effort to ostensibly limit corruption, Mr. Vizcarra has removed the incentive for responsible and experienced politicians to seek careers in Congress, said Diego Moya-Ocampos, a political risk analyst at the consultancy IHS Markit, in London. The result has been a raucous, fractious legislature filled with rookie, little-known politicians from a dozen parties, including the political wing of a messianic religious group and supporters of a jailed former military officer who advocate firing squads for corrupt officials. [...] the impeachment left many in Peru dispirited, worried that the country is headed for greater political instability just as it tries to recover from one of the world's worst coronavirus outbreaks, and reopen its battered economy. Peru's gross domestic product is set to contract 14 percent this year, according to the International Monetary Fund -- the largest decline since the nation began collecting economic statistics in 1951. »
New York Times (États-Unis), 11 novembre 2020, p. A11.
Gouvernance et gouvernement [ 9 novembre 2020 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
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![]() | Élevé | Francisco Sagasti | Violeta Bermúdez Valdivia |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).