Premier débat présidentiel télévisé en France
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde

Valéry Giscard d'Estaing
Quatorze ans après les débats opposant John Kennedy et Richard Nixon aux États-Unis, les Français sont témoins d’un premier duel télévisé entre les deux candidats au second tour de la présidentielle de 1974 : Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Environ 25 millions de téléspectateurs auraient assisté à cet événement qui deviendra une tradition.
En 1965, les candidats à la première présidentielle au suffrage universel en France donnent des entrevues individuelles à la télévision. Il faut attendre le vendredi 10 mai 1974 avant d’assister à un premier affrontement télévisé entre les deux participants au second tour de la présidentielle. Il s’agit du ministre de l’Économie et des Finances, Valéry Giscard d’Estaing, et du leader socialiste, François Mitterrand. Ils ont obtenu respectivement 32,6 % et 43,25 % des voix lors du premier tour, le 5 mai. Animée par les journalistes Jacqueline Baudrier et Alain Duhamel, qui jouent un rôle effacé, l’émission connait un immense succès. On estime à 25 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, le nombre de Français rivés devant le petit écran. Les deux candidats, deux vétérans de la politique, abordent quatre thèmes, soit la politique étrangère, les institutions, les libertés et la politique économique et sociale. Dans la presse du lendemain, on retient surtout de ces 101 minutes d’échanges les attaques de Mitterrand contre le bilan du gouvernement, auquel son adversaire appartient, et des répliques percutantes de Giscard d’Estaing qui qualifie son rival « d’homme du passé » et lui rappelle « vous n’avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du cœur. » Selon un sondage publié le lendemain, Giscard d’Estaing aurait mieux fait que Mitterrand. Aux yeux de certains, sa prestation aurait même contribué à sa victoire serrée (50,8 % contre 49,2 %) du 19 mai. Les débats télévisés entre les deux tours deviendront la norme en France, sauf en 2002 alors que Jacques Chirac refusera de débattre avec Jean-Marie Le Pen. Les États-Unis renoueront avec cette formule du face-à-face en 1976 (Jimmy Carter et Gerald Ford), tandis que d’autres pays, comme l’Allemagne (2002) ou le Royaume-Uni (2010), l’adopteront plus tard, dans ce dernier cas dans le cadre d’un débat à trois.
Dans les médias...
Roland Cayrol, « La victoire de la télévision »
«...Une confirmation d’abord : les Français se sont passionnés pour la compétition. La conscience de l’enjeu, la clarté de l’affrontement ont été telles que 9 % seulement des personnes interrogées affirment ne pas avoir suivi la campagne électorale [...] Cette campagne, on l’a suivie d’abord par la télévision. [...] Quelle que soit la raison pour laquelle on s’est intéressé à la campagne, c’est la télévision qui apparaît aux Français comme le moyen le plus satisfaisant. Bien sûr, la télévision distance encore plus ses concurrents quand il s’agit de voir comment sont les hommes politiques. Mais, même pour mieux comprendre le programme de son candidat favori, l’électeur français estime aujourd’hui que le téléviseur est le meilleur moyen : la leçon sera sévère aux animateurs des stations de radio qui ont tenté de donner vie aux affrontements politiques. La radio est nettement distancée par la télévision. Elle l’est même – de peu, il est vrai – par la presse écrite. Cette victoire de la télévision sur tous les fronts se confirme au niveau de chacun des électorats : « royéristes », « chabanistes », « giscardiens » ou « mitterrandistes » sont tous des téléphiles. Mais, cette victoire soulignée, il demeure tout de même des différences significatives. »
Le Nouvel Observateur (France), 21 mai 1974, p. 32-33.
Guy Claisse, Jacques Perrier, « Élection : la ligne d’arrivée »
«...Événement considérable qui n’a pas eu son équivalent dans le monde depuis le fameux duel Kennedy-Nixon aux États-Unis en 1960. On se sent fier, brusquement, non? de vivre dans un pays de grande démocratie. Et puis, quoi, si c’était absurde. Absurde que deux hommes, de caractère exceptionnel, certes, mais enfin deux hommes, avec les mêmes chromosomes, les mêmes muscles, les mêmes nerfs que les autres, jouent en une heure et demie leur destin – et surtout celui de tout un peuple. Tout va compter. Il leur faut paraître naturels et surveiller chacune de leurs intonations, chacun de leurs gestes, de leurs mots. Ce regard qui vacille un instant, cette seconde d’hésitation, cette réplique mal placée, cet argument oublié, combien de voix perdues, gagnées pour l’autre. Serait-ce sur d’aussi petits détails que va se décider le sort du pays pour sept ans? Non, bien sûr, par seulement. Il y a d’abord la personnalité des candidats, et les idées qu’ils défendent. Certes, tous les deux ont choisi des slogans qui se ressemblent. M. Mitterrand : « Un président pour tous les Français. » M. Giscard d’Estaing : « Le président de tous les Français. » Mais au-delà des mots, qui veulent traduire une volonté d’union, ce sont deux conceptions de la vie qui s’affrontent. »
L’Express (France), 13 au 19 mai 1974, p. 10 et 12.
André Laurens, « MM Giscard d’Estaing et Mitterrand contestent mutuellement leur capacité à maintenir la croissance économique tout en répartissant plus équitablement ses fruits »
«...S’il fallait à tout prix désigner un gagnant, au terme de l’affrontement, la palme irait peut être au téléspectateur-électeur qui a suivi l’émission et qui baigne depuis lors, dans les commentaires qu’elle suscite autour de lui et dans la presse. Grâce à ce formidable moyen de communication qu’est la télévision, le débat présidentiel a pris vendredi soir toute sa dimension. Non pas que les deux candidats se soient surpassés, car s’ils ont souvent été excellents dans la forme, ils n’ont guère enrichi le contenu de leur confrontation d’avant le premier tour, mais simplement parce qu’ils ont vulgarisé plus complètement leurs idées et livré plus largement leur personnalité. Point de suspense de leur part, mais une meilleure connaissance d’eux à l’arrivée. Le lien direct que l’élection du président de la République au suffrage universel tend à créer, entre les électeurs et ceux qui quêtent leurs suffrages, s’est noué plus étroitement que jamais : l’ampleur de l’auditoire, l’intérêt porté à la confrontation et la tension des « debaters » l’ont suffisamment prouvé. À cet égard, cette « première » de la télévision électorale peut être le point d’orgue de la campagne. Les deux candidats s’y étaient préparés avec application et avec le concours des spécialistes de l’audio-visuel. Aussi ne venaient-ils pas pour se convaincre l’un l’autre ni pour se faire connaître – car ils sont connus – mais pour conforter dans l’esprit du public leur image de marque, pour l’opposer à l’autre et pour accroître leur cible. »
Le Monde (France), 12 mai 1974, p. 1.
Gouvernance et gouvernement [ 10 mai 1974 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
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![]() | Intermédiaire | Valéry Giscard d'Estaing | Jacques Chirac |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).