Signature du traité sur la création d'une Communauté européenne de défense
Texte rédigé par l'équipe de Perspective monde

René Pleven
Les gouvernements de six pays réunis à Paris le 27 mai 1952 signent un traité prévoyant la mise sur pied d'une Communauté européenne de défense (CED) à laquelle participeraient des troupes allemandes. L'opposition de l'Assemblée nationale française à sa ratification, le 30 août 1954, empêchera toutefois sa création.
La création de la République fédérale d'Allemagne (RFA) et de la République démocratique allemande (RDA), en 1949, avive les tensions en Europe dans le contexte de la Guerre froide. Le déclenchement de la guerre de Corée, en juin 1950, inquiète les Occidentaux, dont les Étatsuniens, qui redoutent la faiblesse de l'Europe de l'Ouest devant une hypothétique offensive soviétique. Une participation militaire allemande est alors perçue comme inévitable. Dans l'élan du plan de Robert Schuman sur la Communauté de l'économie et de l'acier (CECA), déposé le 9 mai 1950, le premier ministre français René Pleven, avec l'aide de Jean Monnet, propose en août 1950 un plan visant à organiser une « armée européenne rattachée à des institutions politiques de l'Europe unie ». Ce projet, dont des volets seront modifiés avec le temps, lance un vif débat. Un traité est conclu à Paris le 27 mai 1952 entre six pays : la France, RFA, Belgique, Italie, Pays-Bas, Luxembourg. Il sera ratifié par quatre d'eux entre mars 1953 et avril 1954. Mais en France une forte opposition s'organise chez les communistes, les nationalistes, inquiets d'une perte de souveraineté ou d'une remilitarisation allemande, et les neutralistes. Pour leur part, les partisans de la CED voient celle-ci comme une option face à la menace militaire soviétique et privilégient un réarmement de la RFA, que plusieurs pensent incontournable, à l'intérieur plutôt qu'à l'extérieur d'une structure supranationale. La mort de Joseph Staline et la fin de la guerre de Corée, en 1953, apaisent quelque peu les tensions, ce qui semble jouer contre les « cédistes ». Le 30 août 1954, l'Assemblée nationale française met fin à la CED en votant contre la ratification à 319 contre 264. Conclus en octobre 1954, les accords de Paris permettront le réarmement de la RFA à l'intérieur du commandement intégré de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord auquel elle adhère en mai 1955.
Dans les médias...
Jean Pouillon, « Après la mort de la C.E.D. »
«...Qu'on ne dise pas qu'en rejetant la C.E.D. l'Assemblée nationale a pour longtemps rendu impossible l'unification européenne. Pour le prétendre, il faut en effet admettre que la mise en oeuvre de la C.E.D. lui aurait ouvert la voie, ce qui est un mensonge effronté ou une invraisemblable naïveté. Non seulement le cadre géographique et le contexte stratégique de « l'Europe des Six » rendaient burlesque cette affirmation, mais encore la supranationalité, dont on faisait tant état, n'était qu'un trompe l'oeil. On ne peut fonder une communauté que sur un accord politique, sur la reconnaissance et sous la pression d'un intérêt commun. Alors, en effet, la participation au pouvoir supranational apporte à chaque État une compensation pour ses abandons de souveraineté. Mais la supranationalité n'est pas une fin en soi : elle n'a de valeur que comme instrument d'une communauté qui à la fois se cherche et s'est déjà trouvée. Autrement, elle sert seulement à imposer une certaine politique à des États qui, indépendants, pourraient la refuser. Or, tel était le but de l'autorité qu'aurait instituée la C.E.D. : réduire arbitrairement les divergences entre États européens et les obliger à s'aligner sur une politique définie à l'avance et en dehors d'eux, la politique américaine. »
Les Temps modernes (France), octobre 1954, p. 389.
Alfred Grosser, « L'Allemagne dans la confusion »
«...Même du côté français, les réticences deviennent vives, puisque l'armée européenne marquerait également la fin de l'autonomie de l'armée française. Raymond Aron croit que l'Europe se fera par l'armée. Certainement pas dans un proche avenir ! En attendant, c'est précisément le réarmement qui empêche l'Europe de se faire. Certes, comme nous le remarquions au commencement beaucoup de gens se convertissent à une entente franco-allemande pour la seule raison qu'ils croient à la nécessité de soldats allemands. Mais d'un autre côté, hélas, le plan Schuman qui est bien la tentative européenne la plus riche de possibilités, ne va-t-il pas sombrer dans l'aventure ? En plus du déséquilibre que le réarmement impose aux économies faibles comme l'économie française, le plan rencontre des réticences allemandes de plus en plus fortes au fur et à mesure que le chantage au réarmement devient plus pressant. M. Gaston Palewski (un député) reproche à M. Schuman d'avoir édifié sa politique allemande sur le seul Dr Adenauer. Le reproche est fondé dans la mesure où la politique du réarmement permet aux politiciens allemands d'entrevoir pour l'Allemagne d'autres possibilités de redevenir forte que la seule politique européenne du chancelier. »
Esprit (France), décembre 1951, p. 850.
Pierre de Boisdeffre, « Les incidences psychologiques du réarmement allemand »
«...Unité et neutralisation forment une même tentation ; la revanche en est une autre, et c'est peut-être en Allemagne orientale qu'elle garde le plus de partisans (« Mieux vaut une fin terrible qu'une terreur sans fin »). Mais, si divisés qu'ils soient en face du réarmement, les Allemands savent bien que le retour des territoires situés au-delà de la ligne Oder-Neisse est impossible sans guerre ; ils savent aussi que l'unité, qu'ils continuent à souhaiter, reste problématique. Ceux qui acceptent l'idée d'une armée européenne y voient le chemin le plus sûr pour parvenir à l'unité sans que la paix soit menacée. Utopie ? Peut-être. Mais moins coûteuse que beaucoup d'autres. Le problème du réarmement reste moral autant que matériel : il s'agit de rendre confiance à un peuple qui subit une des plus dures épreuves de son histoire. Une accalmie dans la guerre froide - et le signe le plus tangible en serait un accord des Quatre sur le problème allemand - déciderait peut-être de la paix. Au-delà du Grand Schisme, derrière l'opposition simpliste des deux blocs, il y a des hommes du même peuple qu'il n'est pas possible de contraindre à s'ignorer, et demain à se battre. »
Études (France), février 1952, p. 200-201.
Marcel Hayoul, « La « Communauté européenne de Défense » ou la charrue devant les boeufs »
«...L'intégration européenne et la communauté de Défense sont in abstracto des progrès indéniables. Quelques risques qu'ils présentent il faut pour les juger les comparer non avec ce qui serait un système parfait mais avec les misérables réalités du moment. Trop souvent les adversaires de la Communauté Européenne de Défense ferment les yeux, volontairement ou inconsciemment sur l'impossibilité de prolonger le statut actuel, politique ou défensif de l'Europe Occidentale. Or, ils sont généralement en défaut d'apporter à l'appui de leurs critiques méritées et de leurs inquiétudes justifiées la proposition d'une solution de remplacement. Le réarmement allemand constituera probablement le danger et la source de dangers les plus graves que le monde ait connus depuis la fin de la première guerre atomique. On peut préférer l'ascenseur à l'escalier et le tapis roulant à des marches raides. Quand la maison brûle on n'en saute pas moins par la fenêtre en faisant de son mieux pour tomber dans le drap que tendent les pompiers. Il en ira ainsi croyons-nous pour la Communauté Européenne de Défense et pour le réarmement allemand. Mais si nous ne croyons pas qu'on puisse éviter ces risques, il nous paraît indispensable qu'on ne les ignore point. »
La Revue Nouvelle (Belgique), juillet-août 1952, p. 78-79.
S.A., « L'armée européenne »
«...En signant mardi au Quai d'Orsay le rapport intérimaire sur l'armée européenne, les délégués à la conférence de Paris avaient conscience de franchir une étape importante sur la route difficile de l'unité. Ils pouvaient certes se féliciter du résultat obtenu. La conférence, qui s'était ouverte sans qu'un enthousiasme débordant eût présidé à ses premiers travaux, avait repris depuis quelques semaines une nouvelle vigueur. Un appui - et de quel poids ! - lui était venu en la personne du général Eisenhower, qui, après une analyse attentive des possibilités de défense européenne, avait vu dans la suppression des barrières du vieux continent la meilleure chance qu'il ait de survivre. Mais si encourageant qu'il soit, le rapport n'est pas un accord. Il ne propose que des amorces de solutions. Et les points qui restent à résoudre sont loin d'être de simple détail. Les délégués ont certes accepté le principe d'une autorité supranationale à laquelle seraient soumises les forces armées européennes, mais ils n'ont pu arriver à une entente sur la forme à lui donner. Fonds commun de défense, conseil de ministres, assemblée parlementaire, cour de justice, représentent assurément des éléments nécessaires. Mais il semble bien que cette conférence sur un problème militaire ait achoppé jusqu'ici précisément sur des questions militaires majeures. »
Le Monde (France), 26 juillet 1951, p. 1.
Gouvernance et gouvernement [ 27 mai 1952 ]
Pays | Niveau de démocratie | Chef de l'État | Chef du gouvernement |
---|---|---|---|
![]() | Élevé | Vincent Auriol | Antoine Pinay |
![]() | Élevé | Theodor Heuss | Konrad Adenauer |
Les informations précédentes renvoient précisement à la date de l'événement. Le niveau de démocratie est établi à partir des travaux de l'équipe de Polity IV. L'indice renvoie à la démocratie institutionnelle. Les noms des gouvernants sont établis à partir de nos bases de données les plus récentes. Là où on ne trouve aucun nom pour chef du gouvernement, il faut conclure que le chef de l'État est aussi, et sans intermédiaire, le chef du gouvernement, ce qui est le cas des systèmes présidentiels classiques (les États-Unis par exemple).